« Dieu désarmé » : François Clavairoly face au défi mondial de la violence religieuse
Alors que les conflits armés se multiplient — de l’Ukraine au Proche-Orient, du Soudan à Gaza — la question du rapport entre religion, violence et paix s’impose à nouveau sur la scène internationale. À Copenhague, à l’ambassade de France au Danemark, le pasteur François Clavairoly, ancien président de la Fédération protestante de France, engage un dialogue public avec le grand rabbin de France Haïm Korsia autour d’un thème aussi biblique que politique : « Dieu désarmé ».
Un intitulé volontairement paradoxal, qui ne cherche ni à disculper les religions ni à les condamner, mais à affronter leur ambivalence. « Quand on parle de religion, on parle évidemment de paix, de spiritualité, de messages d’espérance, de bonté, d’amour. Et en même temps — et le “en même temps” est ici programmatique — chacun sait que la religion est mêlée au drame de la vie humaine, mêlée aux violences, aux guerres, aux agressions », souligne François Clavairoly.
Cette lucidité traverse tout l’entretien. Pour le pasteur réformé, la violence n’est pas un accident marginal de l’histoire religieuse, mais une réalité qui traverse l’humanité elle-même. « L’histoire de l’humanité, qui est faite de violence, est aussi faite de religion. La violence n’épargne personne en vérité », affirme-t-il, refusant toute lecture simpliste opposant foi et barbarie.
Le choix de Copenhague n’est pas anodin. Le Danemark reste marqué par la crise internationale déclenchée en 2005 par la publication des caricatures de Mahomet, puis par les attentats de 2015 à Paris et en Europe. Des événements qui ont durablement interrogé la place des religions dans l’espace public démocratique. « Toute la société française a été percutée de plein fouet par ce drame absolu, rappelle François Clavairoly. Il a fallu réfléchir, reprendre ce qui s’était passé, comprendre comment nous en étions arrivés là ».
Le dialogue avec Haïm Korsia s’inscrit dans cette continuité. Les deux responsables religieux ont déjà accompagné ensemble des responsables politiques et civils dans des moments de crise. Leur socle commun : la Bible. Mais une Bible comprise comme un espace de pluralité. « La Bible est déjà un vivre-ensemble, explique François Clavairoly. C’est une bibliothèque de textes différents : textes de loi, prophètes, sagesse, évangiles, Apocalypse. Une cohabitation parfois bancale, mais réelle ».
Cette pluralité biblique devient un levier pour penser la paix. Le pasteur revendique une lecture transversale des Écritures, qu’il appelle « l’Évangile de toute la Bible », de la Genèse à l’Apocalypse. Il cite notamment le prophète Ésaïe : « Tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël sauveur ». Un verset qui dit l’impossibilité de tout comprendre — et la nécessité de renoncer aux certitudes violentes.
Au cœur de sa théologie se trouve un symbole fort : l’arc-en-ciel de la Genèse. « Dieu pose l’arc dans le ciel, explique François Clavairoly. Il dépose les armes, symboliquement, dans un lieu inaccessible. Ce Dieu désarmé se désarme lui-même et fait signe à l’humanité que la promesse désormais est une promesse de vie, de paix et d’espérance ».
Sans naïveté, le pasteur réformé rappelle que la paix ne dépend pas uniquement de la bonne volonté humaine. « Nous n’allons pas, par nos propres œuvres de paix, résoudre tous les problèmes de l’humanité », reconnaît-il, évoquant les conflits de longue durée en Israël-Palestine, au Congo ou en Irlande du Nord. Mais il insiste : le message religieux peut inspirer, résister, tenir.
Il cite deux figures protestantes contemporaines, prix Nobel de la paix : Albert Schweitzer et Denis Mukwege. « Ils ont porté ce message de paix malgré les échecs, malgré les horreurs traversées ».
Dans un monde fragmenté, où la religion est tour à tour instrumentalisée, suspectée ou radicalisée, François Clavairoly appelle à une autre voie : désarmer Dieu pour désarmer les hommes. Une théologie biblique et citoyenne, qui refuse que la violence ait le dernier mot.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : François Clavairoly
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Alban Robert
