Sabine Dullin est historienne, professeur en histoire contemporaine de la Russie et de l’Union soviétique à Sciences Po et chercheuse au Centre d’histoire de Sciences Po. Au micro de Claude Boulanger, dans le Midi Magazine du 21 mars, elle explique la vision des frontières de Vladimir Poutine. Elle explique comment, pour l’actuel dirigeant du Kremlin comme pour ses prédécesseurs, y compris les tsars, à l’exception notable de Pierre le Grand et de Catherine II, le danger vient de l’ouest et de son influence.
La continuité territoriale est la particularité principale de cet État-continent, qui s’est étendu de Minsk à Vladivostok et de l’Arctique à la Mer Noire, avant le délabrement territorial consécutif à la chute de l’Union soviétique. Pour Poutine, il y a la Grande-Russie et les autres, Biélorusses et Ukrainiens étant réduit à la portion de « petits-Russes », sans parler des autres pays réduits bien entendu à l’état de « satellites ».
D’où « l’affaire de cœur, et non de raison » qui caractérise la position de Poutine, une nostalgie d’un empire qui, au cours de l’histoire, a réussi à se reconstituer après chaque effondrement. C’est pourquoi, lorsqu’il a lancé son offensive, l’homme fort de Moscou a semblé miser sur la chute rapide du gouvernement de Kiev, comme celui de Budapest en 1956 ou celui de Prague en 1968. L’ « idée russe » au sens complexe que lui donnait Berdiaiev et la hantise du déclin, additionnée à une mentalité de citadelle assiégée et un anti-occidentalisme primaire, tout cela se heurte chez Vladimir Poutine à l’héroïsme de la résistance ukrainienne, provoquant sa rage aveugle et la terrible volonté de punir tout un peuple… un air connu, hélas !