Le débat sur la restitution des objets culturels à leur pays d’origine n’est ni nouveau ni simple. Toutefois, des événements récents ont relancé les discussions, en particulier sur les objets d’art africains pillés pendant l’ère coloniale. Pierre de Maret, professeur d’archéologie et d’anthropologie à l’Université libre de Bruxelles a débattu de la question de savoir s’il était temps de restituer ces trésors culturels à l’Afrique.
Contexte historique et tensions actuelles
La question de la restitution a été mise en avant par des gestes notables de bonne volonté, tels que les récentes ouvertures de la France au Burkina Faso, qui, malgré leurs intentions, n’ont pas réussi à apaiser le mécontentement local et international. Cela met en évidence une relation complexe entre les anciennes puissances coloniales et les nations qu’elles contrôlaient autrefois, suggérant que la restitution d’objets pourrait faire partie d’un processus plus large de réconciliation et de justice.
Le rapport Sarr-Savoy
En réponse rapide aux appels à l’action de plus en plus nombreux, le gouvernement français a chargé Bénédicte Savoy, historienne de l’art et Felwinn Sarr, écrivain et universitaire sénégalais, de mettre en oeuvre un plan de restitution des artefacts africain. Leur rapport, publié en 2018, préconise la restitution intégrale des objets acquis pendant la période coloniale. Cette recommandation radicale a suscité un débat vigoureux sur les implications pour les collections des musées, qui sont juridiquement considérées comme inaliénables et insaisissables en vertu du droit français.
Résistance des musées
La résistance à la restitution ne se limite pas aux obstacles bureaucratiques ou juridiques. De nombreux musées européens, détenteurs de vastes collections d’artefacts mondiaux, font valoir que ces objets servent des objectifs éducatifs et culturels plus larges, accessibles à un public mondial. Des affaires très médiatisées telles que les débats sur les marbres d’Elgin au Royaume-Uni et la pierre de Rosette en Égypte illustrent les défis similaires auxquels sont confrontés les musées du monde entier.
Mesures législatives en faveur de la restitution
La réponse législative de la France au rapport Sarr-Savoy en décembre 2020, qui a facilité le retour d’objets spécifiques au Bénin et au Sénégal, marque une étape importante, bien que limitée, vers une restitution plus large. Cette loi représente un changement dans la vision traditionnelle des collections de musées et souligne une reconnaissance croissante de l’importance du patrimoine culturel pour les communautés d’origine.
Implications plus larges et voie à suivre
Le débat sur la restitution dépasse les artefacts individuels ou les frontières nationales. Il s’inscrit dans une discussion plus large sur le patrimoine culturel, l’identité et l’éthique. Les critiques soutiennent que la restitution d’objets pourrait diminuer la valeur éducative qu’ils apportent dans leur emplacement actuel. Cependant, les défenseurs de la restitution y voient un impératif éthique, essentiel pour corriger les erreurs historiques et restaurer la dignité des communautés affectées par l’exploitation coloniale.
En outre, le débat sur la restitution évolue pour inclure un plus grand nombre de parties prenantes, notamment les communautés locales, les groupes de descendants et les organismes internationaux. Cette inclusion est cruciale pour garantir que le processus ne consiste pas seulement à transférer la propriété, mais aussi à comprendre et à respecter la signification culturelle de ces artefacts.
À mesure que le temps passe, le défi consiste à trouver un équilibre entre les implications éthiques, éducatives et culturelles de la restitution des artefacts. Le débat ne porte pas seulement sur la place géographique de ces objets, mais aussi sur la manière dont ils peuvent servir au mieux de passerelles entre les injustices du passé et un dialogue culturel international plus juste et plus respectueux. Grâce aux discussions en cours et aux changements législatifs, on peut espérer progresser vers une solution plus équitable qui honore à la fois l’histoire et l’avenir du patrimoine culturel mondial.
Captation réalisée au Temple d’Uzès, le 10 février 2024, dans le cadre du cycle de conférences « Afrique : Défis, réalités, espoirs. »
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Pierre de Maret
Captation : Jean-Luc Mouton
Montage : Cédric Paulhiac