René Girard, l’anthropologue français exilé aux États-Unis, fait un retour inattendu dans le débat politique américain via une appropriation surprenante par certains penseurs gravitant autour de Donald Trump. Bernard Perret, socioéconomiste et essayiste, analyse la récupération de la pensée girardienne par deux figures clefs de la droite américaine : le sénateur J. D. Vance et le milliardaire libertarien Peter Thiel.
Ces deux acteurs influents du trumpisme ne représentent pas l’ensemble du mouvement, mais leur proximité avec l’ancien président américain, et leur mise en avant de concepts girardiens, soulèvent des interrogations. Girard, penseur de la violence mimétique et du bouc émissaire, semble a priori en contradiction avec les logiques de polarisation et de conflictualité revendiquées par le trumpisme. Pourtant, c’est son pessimisme radical à l’égard de la démocratie moderne et son idée d’un avenir potentiellement apocalyptique qui fascinent cette frange conservatrice.
Peter Thiel, ancien élève de Girard à Stanford, finance généreusement des études girardiennes tout en appliquant ses concepts dans une vision managériale du capitalisme, comme l’illustre son livre From Zero to One. Il voit dans le rejet du mimétisme un levier de domination entrepreneuriale. De son côté, J. D. Vance épouse un conservatisme moral rigide, en opposition directe avec les valeurs des Lumières françaises, critiquées par les deux hommes pour leur foi en la laïcité et l’État-providence.
Mais Bernard Perret met en garde : cette lecture partielle et orientée trahit la complexité de la pensée girardienne. Le second Girard, après sa conversion au catholicisme, développe une vision où le christianisme devient une force de désacralisation, déstabilisant les institutions, mais sans offrir toujours une perspective de régénération.
Pour Perret, cette focalisation sur le caractère apocalyptique de Girard occulte une autre dimension essentielle : le message d’espérance porté par le christianisme, notamment à travers le pardon, la réconciliation et la justice restauratrice. Là réside un contresens fondamental de l’appropriation trumpiste : en réduisant Girard à une pensée du chaos, elle ignore son potentiel créatif et pacificateur.
Cette instrumentalisation intellectuelle relève d’un bricolage idéologique. La galaxie trumpiste pioche dans Girard ce qui conforte ses vues, sans intégrer la complexité de sa pensée. Une récupération à la fois fascinante et inquiétante, qui interroge sur la capacité de la philosophie à survivre à ses usages politiques.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Bernard Perret
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Quentin Sondag, Horizontal Pictures
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