Le constat est partagé par tous les observateurs : notre société se fracture. Entre replis identitaires, radicalisation des opinions et montée des émotions négatives dans le débat public, la bipolarisation semble devenue le mal du siècle. Invité au dernier Forum des attestants, mouvement issu du courant évangélique de l’Église protestante unie de France, le politologue Christel Lamère Ngnambi a proposé une analyse lucide de ce phénomène, et esquissé les pistes d’un dépassement possible, le 11 octobre 2025 à Paris.

« Nous vivons dans un monde de plus en plus polarisé, où les différences d’opinion deviennent des différences de personnes », résume-t-il. Cette fragmentation ne touche pas seulement le champ politique : elle traverse aussi les communautés religieuses. Le forum, organisé parallèlement au rassemblement du protestantisme libéral, a ainsi cherché à comprendre comment les Églises elles-mêmes peuvent être influencées par ces logiques de division.

S’appuyant sur les travaux du politiste Jérôme Fourquet (L’Archipel français), Christelle Lamer Niambi souligne combien les citoyens vivent désormais « dans leurs bulles », éloignés d’un horizon commun. Une situation accentuée par ce qu’il appelle une « urgence émotionnelle » : « Les émotions qui accompagnent le vivre-ensemble sont de plus en plus négatives. Peur, colère, fatigue : ces affects nourrissent la tentation du retrait ou de la confrontation », observe-t-il. À la clé, une démocratie fragilisée et des relations sociales appauvries.

Pour sortir de cette impasse, le conférencier plaide pour une « pédagogie de la relation », que les Églises peuvent incarner. Les ateliers du forum ont exploré plusieurs récits bibliques de conflit – d’Abraham et Lot aux premières communautés chrétiennes – pour montrer que la Bible n’ignore pas les tensions, mais invite à les traverser avec discernement. Retrouver « l’art de la conversation », dit-il, c’est déjà résister à la logique de la peur.

Dans une société tentée par le repli, l’Église peut redevenir un espace de parole non violente, un lieu où le débat devient fraternité. « Le christianisme, avant d’être une identité, est une relation », rappelle Christel Lamère Ngnambi. À l’heure où les émotions gouvernent trop souvent la politique, cette conviction, à la fois spirituelle et démocratique, sonne comme un appel à la responsabilité commune.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Christel Lamère Ngnambi
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Paul Drion