Trente ans après avoir consacré son mémoire à France Quéré, la pasteure Esther Lenz est revenue, lors du colloque qui lui était dédié, sur une œuvre dont la vitalité continue de surprendre. « J’ai reconnu la musique, mais les arrangements n’étaient plus tout à fait les mêmes », confie-t-elle, évoquant cette relecture à distance d’un travail ancien. Une image juste pour dire à la fois la fidélité et le décalage : France Quéré parlait d’abord à son temps, mais sa manière de faire résonner l’Écriture demeure étonnamment contemporaine.

Pasteure avant d’être académicienne, Esther Lenz revendique une approche située : celle d’une praticienne de la Parole. Son analyse n’est pas d’abord éthique, mais herméneutique. Ce qui fait la force et l’actualité de France Quéré, avance-t-elle, c’est sa manière singulière d’utiliser le texte biblique pour le rendre vivant. « Elle écrivait pour ce temps et dans ce temps », souligne-t-elle, rappelant l’importance du présent dans son écriture. Un présent que France Quéré définissait comme « le temps de l’espérance », ouvert au risque, au doute et à l’inconnu.

L’un des traits les plus frappants de son œuvre est son style. France Quéré n’aimait ni les grandes constructions abstraites ni les démonstrations théologiques pesantes. Sa pensée progresse par phrases courtes, par touches successives, comme un croquis sur le vif. « Elle avait le sens du mot juste », rappelle Esther Lenz, citant ces formules qui accrochent l’oreille : « la femme chèvre émissaire », « la ménagère qui se contracte en mégère ». L’écriture n’est jamais chez elle un simple véhicule : elle est déjà un acte théologique.

Cette écriture s’inscrit dans une démarche profondément poétique. France Quéré ne se contentait pas de commenter le monde : elle le réinventait. « Elle recréait les choses pour nous les offrir dans la nouveauté du jour qui se lève », écrit Charles Blanchet à son propos. L’Évangile devient ainsi un espace de rencontres, où les personnages bibliques cessent d’être figés : Pierre s’emporte, Jean regarde longuement, Marie hésite. « Ce n’est plus une lecture, ce sont des rencontres », écrivait-elle elle-même.

Au cœur de cette démarche, une conviction théologique forte : Dieu est un Dieu de la parole et de la rencontre. « Le commencement est dit », écrit France Quéré, soulignant que la parole divine n’est jamais informative, mais performative : elle crée, elle sauve, elle met en relation. Lire la Bible, c’est donc laisser advenir un événement nouveau de la parole, aujourd’hui encore. « Le texte me porte vers un nouveau sens », écrit-elle, affirmant que seule cette nouveauté assure la continuité de l’ancien.

Esther Lenz insiste enfin sur la rigueur souvent méconnue de cette liberté. Derrière l’apparente fluidité, France Quéré travaillait le grec biblique avec précision, dialoguait constamment avec les Pères de l’Église, convoquait la littérature, l’art et la poésie. Elle « dépliait » les textes plutôt que de les aplatir, laissant émerger un sens sans jamais contraindre le lecteur. « Je cherche sous le procédé une présence », disait-elle.

Cette fidélité à l’Évangile comme espace vivant explique sans doute la portée durable de son œuvre. Pour France Quéré, le texte biblique n’était pas un monument à conserver, mais un ami à rencontrer. Un duo à réinventer sans cesse, dans la liberté, l’émerveillement et l’espérance.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Esther Lenz
Technique : Frog Connexion, Paul Drion, David Gonzalez, Horizontal pictures, Alban Robert