Qumrân est un site archéologique au bord de la Mer Morte, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Jérusalem. C’est un site dont on connaissait l’existence déjà au 19e siècle. C’est le nom arabe moderne de ces ruines. Mais on ne s’y est intéressé vraiment qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, à la fin des années 40, quand on a découvert des manuscrits dans des grottes à proximité du site.
Ensuite, dans les années 50, ces manuscrits ont été étudiés, le site a été fouillé, et on a commencé à publier ces manuscrits. Il a fallu des dizaines d’années pour publier l’ensemble des manuscrits de la Mer Morte. D’ailleurs, on a découvert des manuscrits pas simplement à Qumrân, mais tout au long de la Mer Morte, du nord au sud jusqu’à Massada, on a découvert des manuscrits. Donc aujourd’hui, on parle des « manuscrits de la Mer Morte » dans leur ensemble. Souvent, on parle du site de Qumrân. C’est de tout ça dont on parle.
En quoi ces manuscrits et ce site ont-ils apporté un éclairage sur l’étude de la Bible et du Nouveau Testament en particulier ?
D’abord, on a découvert les plus anciens manuscrits de la Bible. Avant la découverte des manuscrits de la Mer Morte, on connaissait le texte biblique par des manuscrits beaucoup plus tardifs, de la fin de l’Antiquité ou du Moyen Âge. La plus ancienne Bible complète en hébreu, pour ce qui est du Tanakh, l’Ancien Testament des chrétiens, date à peu près de l’an mille de notre ère. On a des Bibles grecques qui vont dater des 4ème, 5ème et 6ème siècles de notre ère. Là encore c’est plusieurs siècles après les événements.
Parmi les manuscrits de la Mer Morte, on a des manuscrits de la Bible qui datent du tournant de notre ère. Donc, on a fait un bond dans le temps, mille ans en arrière, pour lire le texte de la Bible en hébreu pour l’ancien testament, dans des manuscrits qui sont anciens et contemporains de la rédaction de la Bible. On est à la fin de la période de rédaction de la Bible mais on voit la Bible en train de s’écrire. On n’a pas retrouvé de manuscrit du Nouveau Testament parmi les manuscrits de la Mer Morte, quoique on s’est posé la question.
Il y a eu des hypothèses, des idées, des petits fragments grecs, tout petits, des miettes sur lesquelles il y avait quelques lettres grecques. On s’est dit : « Ah, mais là, ça pourrait être tel Évangile, ça pourrait être telle Épitre ». A vrai dire, ça peut être ce qu’on veut. Si on les prend isolément, j’ai 3 ou 4 lettres, je peux en faire n’importe quel manuscrit. Cela étant, quand on les met bout à bout, parce que tous ces petits fragments viennent d’une même grotte, sur papyrus, et grâce aux fibres du papyrus, à la trame, on a pu les disposer et en faire une sorte de patchwork, et là avoir un texte un peu plus étoffé.
Le livre d’Enoch
En fait, il s’agit non pas du Nouveau Testament, mais du Livre d’Enoch, un apocryphe, qui n’est pas dans nos Bibles sauf qu’en Éthiopie, il fait partie de la Bible d’Éthiopie. Mais il est considéré chez nous comme apocryphe, exclu du texte biblique, sauf qu’il apporte un éclairage fabuleux sur le Nouveau Testament. Dans le Livre d’Enoch, qu’on a donc découvert à Qumrân, non seulement en grec mais surtout en araméen, la langue d’origine, on nous parle de la chute des anges, de l’arrivée du péché sur terre, de la fin des temps, de la venue du Messie.
Le livre d’Enoch nous parle du Messie qu’on appelle le Fils de l’Homme, qui préside le jugement dernier. En tout cas, on a vraiment l’impression de lire du Nouveau Testament. D’ailleurs le Nouveau Testament cite le Livre d’Enoch. L’Épître de Jude, vers la fin du Nouveau Testament, cite expressément le Livre d’Enoch. D’ailleurs elle cite le chapitre 1, le verset 9 du Livre d’Enoch. Cela veut dire que, quand on lit le Nouveau Testament et qu’on se met dans la peau des auteurs du Nouveau Testament, on se rend compte que ces auteurs connaissaient non seulement le Livre d’Enoch mais d’autres livres de la littérature juive de l’époque. Sauf que cette littérature était perdue. Et elle été retrouvée grâce aux manuscrits de la Mer Morte.
Donc, tout un tas d’expressions, de concepts, qui sont dans le Nouveau Testament, et dont on pouvait penser qu’ils avaient été inventés par les auteurs du Nouveau Testament, on se rend compte qu’en fait elles existent déjà dans les manuscrits de la Mer Morte qui, je le rappelle, sont contemporains du Nouveau Testament. Les manuscrits de la Mer Morte, c’est le tournant de notre ère. La majeure partie, c’est le premier siècle de notre ère, donc c’est l’époque de Jésus, de Paul et des apôtres.
Les trois filets de Bélial
Dans le Nouveau Testament, dans les Épitres, on nous parle des trois filets de Bélial. Bélial, c’est qui ? Dans l’Ancien Testament on en parle un peu, mais des filets ? 3 ? Qu’est-ce-que c’est que ça ? En fait, on les a. L’expression existe dans les manuscrits de la Mer Morte. Quand on nous parle de l’opposition entre les fils des ténèbres et les fils de la lumière, toujours dans les Épitres, on se dit : d’où vient cette idée de mettre en opposition des fils de lumière et des fils de ténèbres ? On a exactement cette expression dans les manuscrits de la Mer Morte.
Jean Le Baptiste
Quand on voit Jean Le Baptiste qui dit : « Il faut partir au désert », et d’ailleurs pour expliquer le fait qu’il part au désert on cite le prophète Isaïe : » Dans le désert, tracez le chemin de celui qui annonce la venue du Seigneur » (Isaïe, chapitre 40), eh bien dans les manuscrits de la Mer Morte on utilise le même verset pour justifier le fait de partir au désert, quitter l’iniquité de ceux qui sont dans le péché, et se purifier d’une certaine manière.
Or, c’est précisément ce que fait Jean : il va dans le désert, il dit aux gens « Repentez-vous » et il les baptise. Quand on parle de baptême : sur le site de Qumrân on a retrouvé ce qu’on pourrait appeler des baptistères aujourd’hui. En hébreu on appelle ça un mikvé. C’est une baignoire dans laquelle on vient se plonger. C’est le sens du mot baptême d’ailleurs, un mot grec qui veut dire « immersion ». On se dit : quand Jean le Baptiste dit aux gens « Je vais vous baptiser », on pourrait penser qu’il a inventé le truc, mais en fait pas du tout. C’est, là encore, une pratique qui est attestée à Qumrân. Je pourrais comme ça multiplier les exemples pour montrer à quel point les manuscrits de la Mer Morte et le site de Qumrân éclairent de façon prodigieuse le Nouveau Testament.
Que changent la découverte des manuscrits de la Mer Morte ?
Je pense même que les manuscrits de la Mer Morte sont la meilleure source d’information pour éclairer le Nouveau Testament aujourd’hui. De fait, à partir du moment où l’on comprend mieux ce qui se passe dans la société à l’époque, dans le judaïsme à l’époque, dans la tête des auteurs, on comprend mieux ce dont ils veulent nous parler. Cela ne change pas de façon radicale.
D’une certaine manière, le propre de l’exégèse, c’est-à-dire de l’étude du texte biblique, nous place souvent dans un travail précis. On a voulu dire que les manuscrits de la Mer Morte allaient faire complètement s’effondrer la foi chrétienne. On a dit que le Vatican empêchait la publication de ces manuscrits parce que c’était la fin du christianisme. Non, évidemment, cela ne change pas le cœur même du message de l’Évangile. Ça l’éclaire, ça permet de mieux le comprendre, de mieux savoir ce qui se passe à l’époque.
L’idée du Messie, par exemple : Jésus est le Messie, ça veut dire quoi ?
Quand, dans le Nouveau Testament, dans les Évangiles, on acclame Jésus en disant : « Fils de David, aie pitié de nous ! », ou quand il arrive une semaine avant avant la Pâque et qu’il est acclamé « Hosanna ! Hosanna ! etc… », quand il est présenté comme ça, on se dit : mais qu’est-ce qui se passe dans la tête des gens ? Pourquoi on l’appelle le fils de David ? En fait, on se rend compte aujourd’hui qu’à l’époque de Jésus, et depuis pas très longtemps, on attend la venue du Messie.
Qu’est-ce que c’est que le Messie ?
C’est celui qui a reçu l’onction (c’est littéralement le sens du mot « Messie »), celui qui a reçu l’onction et qui est censé remettre de l’ordre dans ce monde qui va mal. On critique le pouvoir politique, on critique le pouvoir religieux et on attend la venue du Messie. Ça, on le sait aujourd’hui grâce aux manuscrits de la Mer Morte.
Et donc on comprend mieux pourquoi Jésus a suscité autant d’excitation, pourquoi les gens s’intéressaient à lui, pourquoi les gens cherchaient des signes messianiques, l’interrogeaient pour savoir quelle était sa position, est-ce qu’il adhère au courant des pharisiens, des sadducéens, est-ce qu’il est prêt à pactiser avec les romains ou pas ? En fait, tout ce qui se passe dans cette société on le comprend mieux grâce aux manuscrits de la Mer Morte.
L’interprétation qui est faite aussi de la Torah, c’est-à-dire du Pentateuque, de la Loi, on se rend compte que, d’une certaine manière, quand Jésus parfois est en décalage par rapport à l’interprétation des pharisiens, il n’est peut-être pas le premier à l’avoir dit.
Quand, au contraire Jésus va durcir le propos des pharisiens en disant : « Mais vous êtes complaisants d’une certaine manière, vous dites que vous observez mais vous contournez », en fait on se rend compte qu’il n’est, là encore, pas le premier à le dire. On se rend compte qu’il s’inscrit dans un mouvement plus large. Donc, il y a encore beaucoup de travaux de recherches à faire pour pour mieux comprendre ce qui se passe.
Pour moi, il ne s’agit pas d’une révolution au sens d’un renversement où l’on va dire le contraire de ce qu’on disait avant. Je pense que le message de l’Évangile reste. Il est intact. Je dirais, au contraire, d’une certaine manière c’est comme quand vous prenez un diamant qui est déjà très beau, mais vous l’astiquez et vous l’observez sous différentes facettes et vous vous rendez compte, en fait, du bijou qu’il représente quand il est serti dans son contexte.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Journaliste : Jean-Luc Mouton
Invité : Michael Langlois