Le mariage d’amour est une folie, car il audacieux de s’engager à aimer, mais il est une des applications du commandement de Jésus qui pose l’amour au fondement de son enseignement. Conçu comme un commandement, l’amour n’est pas un sentiment, mais l’engagement à faire grandir son conjoint, ce qui est le plus sûr moyen de cultiver le désir.
Depuis que l’humain existe, l’immense majorité des mariages ont été conçus comme des actes juridiques avant d’être des aventures sentimentales. La première raison du mariage était d’assurer l’éducation des enfants et d’organiser la transmission du patrimoine. Dans une nouvelle de Maupassant, une grand-mère dit à sa petite-fille : « Le mariage et l’amour n’ont à voir ensemble. On ne marie pour fonder une famille, et on forme une famille pour constituer la société… Quand on se marie, il faut unir les convenances, combiner les fortunes, joindre les races semblables, travailler pour l’intérêt commun qui est la richesse et les enfants. On ne se marie qu’une fois parce que le monde l’exige, mais on peut aimer vingt fois dans sa vie, parce la nature nous a faits ainsi. »
Le mariage d’amour est d’apparition récente dans l’histoire et il a profondément changé la nature de la conjugalité.
Le mariage d’amour est magnifique, mais c’est une folie, car il faut être inconscient pour dire à un autre : « Je t’aime et je t’aimerai, je t’aimerai dans les bons et les mauvais jours, dans les printemps et dans les hivers, dans les clairières et dans les déserts… je veux et je ferai en sorte que notre amour se construise tout au long de notre vie. » Au nom de quoi une personne ose-t-elle prononcer une parole au nom de l’autre qu’elle sera dans dix, vingt, trente ans, face à l’autre que sera son conjoint dans dix, vingt trente ans ? On peut s’engager pour aujourd’hui, mais n’est-ce pas déraisonner que de s’engager pour demain ?
Le mariage d’amour est une folie, mais il est une des applications du commandement de Jésus qui nous appelle à aimer. Pour nous aider à assumer cette folie, nous pouvons faire un détour par la grammaire. Dans l’évangile, le verbe aimer est conjugué à l’impératif (Aimez-vous les uns les autres), et au futur (Tu aimeras ton prochain comme toi-même).
Arrêtons-nous sur ces deux conjugaisons.
Conjugué à l’impératif, l’amour est un commandement. Si l’amour se commande, c’est qu’il est autre chose qu’un sentiment ou qu’une émotion car on ne peut ordonner une émotion. Dans l’évangile, l’amour se définit par le verset qui déclare : « Nul n’a de plus grand amour que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » Aimer, c’est faire grandir son prochain dans toutes les dimensions de sa personne. Je peux m’engager à aimer, car je peux m’engager à faire grandir l’autre.
En conjuguant l’amour au futur – tu aimeras – l’évangile ajoute la promesse au commandement. Il nous assure que si on travaille à faire grandir le prochain, l’amour n’est pas derrière nous, mais devant.
Pour approfondir cette promesse, nous pouvons nous arrêter sur les trois mots qui évoquent l’amour en grec – éros, philia et agapé – et voir ce qu’ils signifient.
Le premier mot, éros veut dire désirer, aimer passionnément. C’est l’amour de la découverte, des fiançailles, l’amour qui nous brûle et qui élargit notre vie. Cette compréhension de l’amour, notre société la connaît bien, elle s’étale dans les films et les romans. Sa figure est celle de l’amant
Si éros évoque la passion amoureuse, nous savons que, par définition, la passion n’a qu’un temps et qu’il arrive qu’elle dégénère. En grec le mot éros est proche d’Eris qui est la déesse de la discorde. C’est pourquoi nous arriverons à un deuxième mot, philia qui évoque l’amour dans le registre de l’amitié. C’est l’amour qui accueille et qui rencontre le prochain avec bienveillance. Cette compréhension de l’amour définit le mariage comme une longue conversation, le partage de deux histoires. Sa figure est celle de l’ami.
Au-delà de l’amour/amitié, la Bible à un troisième mot pour évoquer l’amour : c’est le terme agapé qui est un amour totalement inscrit dans le registre du don de sa personne. C’est l’amour qui fait du prochain sa priorité. La figure de cet amour est celle du Christ.
Les trois mots grecs évoquent l’amour conjugal sous les registres du désir, de l’échange et du don, selon les figures de l’amant, de l’ami et du Christ. L’éros élargit notre cœur, la philia se partage et l’agapé est une offrande. Ces trois registres se trouvent dans la Bible, ce qui nous conduit à penser que, dans la conjugalité, un amour complet est un amour qui circulerait sur les trois registres du désir, de l’échange et du don. La plus belle définition de l’amour conjugal se trouve chez cet homme qui disait à propos de sa femme : « La mère de mes enfants est mon amante, ma meilleure amie et le plus beau de mes soucis. »
Pour revenir à la grammaire, l’éros ne peut se conjuguer à l’impératif (on ne peut me commander de désirer) la philia un peu plus et l’agapé est un commandement. La promesse de l’Évangile est que si nous concentrons nos efforts sur l’agapé et si nous prêtons attention à la philia, l’éros nous sera donné en plus, comme une grâce, la grâce du désir pour celui, celle, à qui nous avons tout donné.
Pour terminer, un apologue.
Il était une fois deux époux dont l’amour n’avait cessé de grandir depuis le jour de leur mariage.
Ils étaient très pauvres et chacun savait que l’autre portait en son cœur un désir profond. Lui avait une montre en or pour laquelle il rêvait d’acquérir une chaîne du même métal. Elle avait de longs cheveux, et rêvait d’un peigne de nacre pour les accrocher.
Avec les années qui passaient, il en était venu à penser au peigne plus qu’à la chaîne de sa montre, et elle recherchait plus la chaîne que le peigne.
Au matin de leurs noces d’or, le mari voit arriver son épouse avec les cheveux coupés.
– Qu’as-tu fait, mon amie ?
Elle ouvre les mains et présente à son mari une chaîne en or.
– Je les ai vendus, et j’ai acheté cette chaîne pour ta montre.
– Ma pauvre amie, répond le mari en ouvrant ses propres mains.
Il montre à sa femme une nacre.
– J’ai vendu ma montre pour t’offrir ce peigne !
Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.
Ils sont dépouillés de tout… mais tellement riches.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Texte : Antoine Nouis
Présentation : Gérard Rouzier