Le résumé de l’entretien :

La Fédération protestante de France a rapidement réagi aux actes du Hamas, qualifiés de terroristes, en condamnant ces actions et en appelant à la libération des otages. Elle a également initié une déclaration commune des cultes pour promouvoir la fraternité en France, malgré les divergences de sympathies envers la Palestine ou Israël, afin d’éviter d’importer les tensions du conflit israélo-palestinien.

L’augmentation alarmante des actes antisémites en France est soulignée, condamnée comme indigne de la République. Parallèlement, une compétition victimaire se développe, exacerbée par la stigmatisation des musulmans et l’attention particulière portée à l’antisémitisme contre les Juifs.

Pour contrer ces tensions, la Fédération a rencontré des leaders juifs et musulmans, affirmant son soutien à chaque communauté et promouvant un message de fraternité. Le protestantisme, valorisant le débat et la diversité, est présenté comme un acteur clé dans le dialogue interreligieux, avec des initiatives pour renforcer la coexistence et la compréhension mutuelle, notamment par des rencontres dans les écoles.

Enfin, la Fédération exprime son soutien au judaïsme, notamment par une déclaration fraternelle en 2017, reconnaissant la légitimité de l’État d’Israël et d’un État palestinien. Elle se réjouit de la perspective d’une solution à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

L’entretien dans son intégralité :

Alors, premièrement, au moment des actes de barbares du Hamas, où cette organisation s’est révélée être une organisation terroriste, la Fédération protestante de France a très vite, par une déclaration, qualifié de terroriste ses actes et appelé à la libération des otages. Nous avons immédiatement, et dans le même mouvement, été à l’initiative d’une déclaration de l’ensemble des cultes pour affirmer que nous sommes capables de fraternité en France, quand bien même nos sympathies seraient plutôt pro-palestiniennes ou favorables à la légitimité de l’État d’Israël. En disant que notre rôle, c’était de montrer plutôt en Palestine et en Israël que nous sommes capables de fraternité, que d’importer des tensions chez nous. Et ces tensions, donc la Fédération, même personnellement, j’étais à l’initiative de se déclarer de cette déclaration commune qui fait date. Ça, c’est la première chose qu’il faut dire.

Sur ce, ce qu’on pouvait craindre, c’est d’installer en France, c’est-à-dire un conflit territorial et politique extérieur, se cristallise en France sur une ligne de fracture entre des cultes, entre le judaïsme et l’islam, chacun revendiquant aujourd’hui d’être, alors revendiquant un des sympathies vers les partisans de ce conflit extérieur. Mais en même temps, revendiquons aussi d’être victime des tensions qui sont consécutives à ce conflit extérieur. On a en France un nombre inimaginable d’actes antisémites, plus de 2000 après 2 mois. Ce chiffre est incroyablement élevé, enfin je ne trouve pas les mots, ce chiffre est même odieux. Il horrifie que des citoyens français qui vivent là depuis les générations, à l’aube de leur vie, se disent à leurs petites filles, il ne vaudrait mieux pas porter un bijou avec une écriture juive. C’est impensable. L’antisémitisme est indigne de la République. Donc, sur ce plan, nous avons un discours très clair.

Mais en même temps, on voit qu’on assiste à une forme de compétition victimaire où chacun cherche à avoir l’attention. Les musulmans se sentent peu reconnus actuellement dans la République parce qu’il y a beaucoup d’attention, et le président l’a peut-être encore marqué l’autre jour avec Hanoukka. Il y a beaucoup d’attention pour la situation des Juifs et toute l’attention à l’antisémitisme. Les musulmans se sentent pointés du doigt comme étant les possibles auteurs d’une partie importante de ces actes antisémites. En même temps, un discours antimusulman est en train de s’installer dans notre pays. Donc, on assiste à une forme de crise de l’empathie. Une attention marquée à quelqu’un est perçue comme une trahison par l’autre, et c’est absolument insupportable.

Et c’est ça, ce titre-là que j’ai estimé qu’il était important d’aller à la rencontre du Grand Rabin, de l’écouter, d’écouter la situation des Juifs en France, d’affirmer notre condamnation de l’antisémitisme, d’affirmer notre appel à la libération des otages. Et qu’il était également important pour nous d’aller à la rencontre du recteur de la grande mosquée de Paris, pour écouter comment les musulmans vivent la situation présente. D’affirmer notre soutien, d’affirmer que nous n’essentialisons pas l’islam ou les musulmans, que nous leur reconnaissons une place au sein de la République, et que nous souhaitions, ensemble avec les juifs et les musulmans, être porteurs d’un message de fraternité.

Quel rôle le protestantisme peut-il prendre dans ce conflit ?

Pour ma part, je suis intimement convaincu que le protestantisme, qui a une réelle culture du débat, une culture pour assumer nos différents, nos différences, notre dissensus, a un rôle important dans le dialogue des cultes ou dans le dialogue interreligieux, dans la rencontre entre les autorités cultuelles. Nous sommes souvent dans la position de celui qui cherche à faciliter la collaboration, à porter un message commun, souvent à l’initiative. Moi, j’agis en tout cas dans le sens de me mettre au service d’un message commun des cultes, afin d’apaiser autant que possible, par des gestes symboliques, les relations entre les cultes sur l’ensemble du territoire.

Comment incarner ce message commun ?

Alors, actuellement, nous cherchons à réfléchir, à partir en tant que responsable religieux, tous, musulmans, juifs, pour aller à la rencontre d’un lycée, de rencontrer pour montrer à quel point nous savons nous tenir ensemble. Il y a une réelle attention médiatique, c’est d’ailleurs insoupçonné comment les médias sont attentifs à cette situation, parce qu’on sent que la fraternité est en danger. On sent que certaines actions interreligieuses ont été suspendues, certains acteurs ont abandonné l’action interreligieuse. Le président Macron nous a dit lui-même que on assistait à une ethnicisation religieuse des sociétés, c’est-à-dire que le modèle français universel, qui veut reconnaître à tout citoyen une même promesse et une même place au cœur de la République, était lentement, progressivement fragilisé par des tensions qui viennent vers nous de l’extérieur.

De quelle manière la fédération exprime-t-elle son soutien au judaïsme ?

En 2017, j’ai eu l’occasion d’écrire une déclaration fraternelle au judaïsme à l’occasion des 500 ans de la réforme. Il s’agissait alors de se souvenir que, en célébrant les 500 ans du protestantisme, nous avions aussi des propos de Luther qui étaient peu recommandables, et qu’il s’agissait en fait de les réprouver avec la plus grande fermeté possible. Cette déclaration rappelle que, finalement, la légitimité à la fois de l’État d’Israël et que la légitimité d’un État palestinien était tout aussi forte que celle d’un État d’Israël. Et donc, moi, je suis heureux que cette solution de deux états réémerge dans le discours politique, et trouve des soutiens, des soutiens forts. On sortira peut-être de cette crise avec une perspective plus viable, quand bien même pour l’instant cet État palestinien est morcelé et n’a pas de continuité territoriale, que cette solution soit de nouveau d’actualité me réjouit profondément.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Entretien mené par : Claire Duizabo
Réalisation : Quentin Sondag