Le protestantisme évoque une manière singulière de se tenir devant Dieu. Il est au croisement d’une théologie de la grâce qui proclame l’amour inconditionnel de Dieu ; d’un attachement à la liberté de conscience et à la responsabilité ; et d’un enracinement dans la parole de la Bible qui fonde et éclaire la foi.
En France, le protestantisme est en pleine reconfiguration. De nouvelles Églises naissent toutes les semaines, dans la mouvance pentecôtiste et dans les milieux de l’émigration. Une question souvent posée est de savoir si ces nouvelles Églises font partie de la même famille : ses membres sont-ils enfants de la Réforme ? Pour répondre à cette question, il convient de définir les principes qui fondent la Réforme au XVIe siècle : nous en pointerons trois.
Un principe théologique
Luther était un moine angoissé par la question de sa propre justice. Il se sentait écrasé et jugé par la grandeur de Dieu face à la petitesse de sa foi. Il multipliait les jeûnes, les veilles, les confessions et les exercices spirituels, sans arriver à la perfection que, pensait-il, Dieu attendait de lui. Dans son désespoir, il était troublé par le verset de l’épître aux Romains qui dit : « Je n’ai pas honte de l’Évangile… en effet la justice de Dieu s’y révèle, selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi. » La méditation de ce verset, et notamment de sa conclusion le juste vivra par la foi, a été à l’origine d’une nouvelle compréhension du rapport entre Dieu et l’humain. La justice de Dieu, ce n’est pas Dieu qui me juge, mais Dieu qui me voit juste par Jésus-Christ. Autrement dit, ce ne sont pas mes actes de justice qui me rendent juste devant Dieu, c’est parce que je suis juste en Jésus-Christ que je peux accomplir des actes de justice.
Pour Luther, ce principe fonde la foi chrétienne. Quand il est présent, nous sommes dans l’Évangile, quand il n’est pas central, nous sommes dans une autre économie religieuse. Cette découverte a été si importante pour Luther qu’il n’a plus supporté tout ce qui brouillait cette compréhension, c’est pourquoi il s’est élevé contre l’Église de son temps.
Un principe anthropologique
Luther était un homme de la Renaissance, il était contemporain de Copernic, Érasme, Machiavel et Magellan. La réforme peut être considérée comme une expression de la Renaissance dans le domaine religieux. Elle est marquée par l’apparition du sujet.
Après que les idées de Luther ont commencé à se diffuser, ce dernier a été excommunié. Il est alors convoqué par le nouvel empereur Charles Quint à la diète de Worms, une assemblée politique qui rassemble les différents princes d’Allemagne. On lui reproche de vouloir diviser l’empire et l’Église, et on lui intime l’ordre de se rétracter. Le réformateur demande vingt-quatre heures de réflexion et, au bout de ce délai déclare : Je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu. Je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience.
Luther, un petit moine d’un couvent ordinaire, oppose sa conscience aux plus hautes autorités civiles et religieuses de son époque. Cette réponse fonde ce qu’on a appelé l’individualisme protestant qui pose le sujet et sa liberté de conscience au-dessus des institutions.
Un principe médiologique
La médiologie est la science qui analyse les phénomènes culturels comme la religion, l’art ou la politique dans leur rapport avec les moyens de transmission et de transport. Les protestants savent que s’ils sont des enfants de Luther, c’est essentiellement grâce à… Gutenberg. D’autres tentatives de réformes de l’Église ont eu lieu dans l’histoire, et si la réforme luthérienne a été historiquement plus féconde, c’est parce que la diffusion de la Bible et des livres du réformateur n’a pas permis aux autorités de museler sa parole. C’est dans la Bible que Luther a puisé les fondements de sa découverte réformatrice, c’est en s’appuyant sur la Bible qu’il a opposé sa conscience aux autorités de son temps.
De tout temps, la lecture des Écritures a été une source d’émancipation par rapport à toutes les autorités. L’acte de lecture fonde le protestant qui lit la Bible pour relire sa vie, et qui relit sa vie à la lumière des Écritures.
Le protestantisme repose sur une manière singulière de se tenir devant Dieu, il est au croisement d’une théologie de la grâce, d’un attachement à la liberté de conscience et d’un enracinement dans la parole de la Bible.
Pour terminer une citation.
Carl Jung, le second père de la psychanalyse, a écrit : « L’Église protestante se leurre totalement si elle cherche à égaler l’Église catholique dans quelque domaine que ce soit… L’Église catholique est une mère tandis que le protestantisme joue le rôle du père. Le protestantisme fait de l’enfant un homme adulte, et chaque adulte a son point de vue. C’est pourquoi l’éparpillement du protestantisme semble être précisément une garantie de sa vitalité. Je considère cet éparpillement comme le signe d’une vivacité qui n’a au fond rien d’inquiétant. »
Production : Fondation Bersier
Journalistes : Jean-Luc Mouton et Antoine Nouis
Présentation : Gérard Rouzier