Actuellement sur les écrans, le dernier Disney s’intitule « Vaiana, la légende du bout du monde ». Il raconte l’épopée initiatique d’une jeune fille intrépide, sur fond de décor somptueux, de couleurs chaudes et d’îles paradisiaques. Ça réchauffe ! Il faut dire que l’Océan pacifique, la Polynésie, Tahiti nourrissent un imaginaire généreux associé aux vacances, à la douceur de vivre, aux cocotiers sur les plages de sable blanc.

Mais sait-on que le protestantisme, y compris francophone, y est établi depuis longtemps ?

Présence protestante depuis le XIXe siècle

Dès 1797, la London Missionary Society s’établit à Tahiti, implantant progressivement le protestantisme en milieu mélanésien. Grâce aux travaux de premier plan du sociologue et anthropologue Yannick Fer (1), on en sait beaucoup, aujourd’hui, sur ces protestantismes de l’Océan pacifique. C’est à lui qu’on doit l’expression « Evangéliser au paradis », formule heureuse qui marque bien une relative spécificité du travail missionnaire dans un contexte où la splendeur du cadre naturel et la douceur du climat invitent à redoubler de gratitude pour la corne d’abondance des « grâces divines ». Marqués par l’impulsion missionnaire occidentale et par le fait insulaire, source de contraintes nombreuses, les protestants du Pacifique ont très tôt multiplié les échanges en réseau. Assez vite, des insulaires des îles Cook et des Samoans convertis nourrissent « un processus d’échanges culturels entre les îles de Polynésie, de Micronésie et de Mélanésie » (2). Tandis que les missions protestantes américano-hawaiiennes se tournaient vers les populations micronésiennes, des missionnaires méthodistes formés à Fidji, Tonga, ou Samoa ont rejoint à la fin du XIXe siècle les effectifs polynésiens constitués sous l’impulsion de la London Missionary Society en Papouasie Nouvelle-Guinée et aux îles Salomon.

Un vaste territoire circulatoire protestant s’est ainsi constitué entre les archipels de l’Océan Pacifique. Ces circulations missionnaires ont établi localement le christianisme, à la fois dans sa version protestante et sa version catholique (plus minoritaire), de manière à le constituer comme un patrimoine commun aux peuples d’Océanie, qui en ont fait « un puissant vecteur d’interdépendance entre des îles géographiquement dispersées ». De nouveaux styles musicaux polynésiens, élaborés par le biais des chants chrétiens, voient le jour, et s’installent tranquillement au coeur des habitudes culturelles des populations mélanésiennes converties au protestantisme.

Le poids de l’Église protestante Ma’ohi

En Polynésie française proprement dite, composée de cinq archipels et de 118 îles (dont 67 habitées), ce protestantisme est aujourd’hui florissant, et articule langue de Molière et langues locales (Tahitien entre autres). On peut estimer le total protestant sur cette Collectivité d’Outre-Mer dont le chef-lieu est Pepeete (île de Tahiti) à environ 150.000 protestants. La majorité de ces protestants se rattachent à l’EPM, l’Eglise Protestante Ma’ohi. Elle rassemblerait environ 1/3 de la population de Polynésie, dont le montant total s’élève à 290.000 personnes. Cette Eglise, de confession réformée (calviniste), est autonome depuis 1963 (où Samuel Raapoto en prend la présidence). Elle a pris son nom actuel en 2004, et joue un rôle central dans la société polynésienne. Membre de la Communion Mondiale d’Églises réformées, elle s’attache à valoriser les langues polynésiennes, y compris au travers des politiques locales qui se développent dans ce domaine depuis le début des années 2000. Les femmes peuvent y être pasteures depuis une décision synodale de 1995 (3).

Quant aux autres protestants, ils se rattachent en majorité au pentecôtisme, bien implanté en Polynésie française comme dans l’ensemble des Etats du Pacifique sud. Au cours des années 1960, il s’est d’abord établi au sein de la communauté des immigrés chinois hakka. De fait, il a été perçu par l’Eglise protestante déjà installée (EPM) comme un « protestantisme à la chinoise ». Plusieurs Églises hakka se sont peu à peu développées, « qui ont chacune élaboré des combinaisons différentes entre identité culturelle, intégration à la société polynésienne et adhésion au christianisme » (Y.Fer). Pentecôtistes, charismatiques, évangéliques ont recomposé, au fil des années, un paysage protestant marqué par de nombreuses scissions, divisions, qui sont aussi une expression de la diversité et de la diversité de l’offre chrétienne protestante en Polynésie française. Aujourd’hui, les Assemblées de Dieu (ADD) de Polynésie française représentent l’axe principal du pentecôtisme local, où nombre de convertis hakka et leurs enfants se retrouvent, sur la base d’une option chrétienne transculturelle. Le pasteur Louis Levant, venu de Nouvelle Calédonie pour s’installer durablement en Polynésie afin de seconder le pasteur Roger Albert, a joué un rôle décisif dans cette structuration des ADD locales. Les Polynésiens lui doivent notamment, en 1997, la création de la station de radio  » te vevo o te tiaturira’a » (RTV, la « radio de l’espoir »), première radio chrétienne en Polynésie française, devenue très populaire au sein de l’archipel polynésien francophone.

Au total, entre l’EPM, Église principale (réformée), et Églises pentecôtistes, le protestantisme représenterait aujourd’hui environ la moitié de la population de Polynésie française, loin, très loin de la culture de minorité cultivée par les Huguenots de France métropolitaine. Une manière de rappeler, 500 ans après les débuts de la Réforme, qu’à rebours des clichés sur l’austérité et la discrétion protestante, les enfants de Jean Calvin ont su prospérer, danser et rayonner sous les cocotiers du Pacifique Sud.

 

(1) Yannick Fer, Pentecôtisme en Polynésie française, l’Evangile relationnel, Genève, Labor et Fides, 2005

(2) Yannick Fer, « Le protestantisme polynésien, de l’Église locale aux réseaux évangéliques », Archives de Sciences Sociales des Religions, janv-mars 2012

(3) Gwendoline Malogne-Fer, Les femmes dans l’Église protestante mâ’ohi. Religion, genre et pouvoir en Polynésie française, Paris, Karthala, coll. «Mémoire d’Églises», 2007