Brièvement de passage à Paris dans son laboratoire de rattachement avant de repartir à Papeete, Yannick Fer (GSRL) effectue actuellement un séjour de recherche en Polynésie française, terrain sur lequel il a publié plusieurs travaux de référence (pentecôtismes). Il nous partage son regard sur un protestantisme du Pacifique sud florissant et recomposé. 

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Yannick Fer, je suis chercheur statutaire au laboratoire GSRL (Groupe Sociétés Religions Laïcités) depuis mon entrée au CNRS (2010). Je suis docteur de l’EHESS en sociologie (thèse sur le pentecôtisme en Polynésie française, 2004), et particulièrement spécialisé sur les pentecôtismes et charismatismes dans l’aire pacifique. Outre ma thèse de doctorat, j’ai notamment publié L’offensive évangélique: voyage au cœur des réseaux militants de Jeunesse en Mission (Genève, Labor et Fides, 2010) (1). Il m’arrive aussi de travailler sur des documentaires vidéo (2). J’effectue en ce moment un séjour de terrain en Polynésie et m’apprête à publier, avec Gwendoline Malogne-Fer, les actes d’un colloque sur les protestantismes à Paris.

Pourquoi étudier le pentecôtisme en Polynésie française ?

Le pentecôtisme n’est pas aussi développé en Polynésie française qu’il ne l’est dans les autres îles du Pacifique anglophone, mais ce qui m’a paru intéressant quand j’ai commencé à l’étudier, ce n’était pas la question du poids numérique, mais l’irruption d’un autre protestantisme dans un territoire qui était habitué à penser qu’il n’y avait qu’un seul protestantisme. Donc c’était une vraie surprise d’imaginer que ce christianisme que personne n’avait vu arriver pouvait être du protestantisme. L’exotisme pentecôtiste a été renforcé par le fait que les premiers convertis étaient des chinois, et donc une partie des protestants polynésiens avaient pensé que le pentecôtisme, avec ses manifestations un peu bizarres, était peut être une sorte de dérive chinoise. Mais en fait, il s’agissait de l’irruption d’un autre protestantisme.

Comment s’articulent langue, culture, protestantisme ?

Au départ, il y a eu des relations compliquées entre la culture chinoise et la rencontre avec le protestantisme en général et le pentecôtisme en particulier. Cela a abouti à la création de plusieurs Églises. Ensuite, la question s’est posée aussi du rapport avec les expressions de la culture polynésienne, du fait que la grande Église historique du protestantisme en Polynésie française, L’Église protestante ma’ohi, s’Est beaucoup engagée dans la défense de la langue et de la culture polynésienne. Pour se différencier, les Assemblées De Dieu (ADD) qui se sont implantées depuis la France métropolitaine en Polynésie depuis le début des années 80, se sont inscrites en opposition avec le militantisme culturel de l’Église protestante EPM. Dans L’EPM, la langue française a une place, mais les cultes sont entièrement assurés en langue tahitienne. Dans les ADD, c’est typiquement en français que cela se passe, mais avec traduction simultanée en tahitien. Les pasteurs ADD sont formés en français. Cela dit, il ne s’agit pas d’une Église qui n’aurait rien à voir avec la culture locale. Si la langue française est mise en avant, c’est une question de positionnement, pour proposer autre chose que l’EPM déjà en place. Les pentecôtistes de Polynésie considèrent que le rôle de l’Église, ce n’est pas le militantisme culturel. Mais on observe quand même plusieurs formes d’articulation entre pentecôtisme, charismatisme, et culture polynésienne locale.

Depuis la thèse de doctorat (2004), qu’est ce qui a changé dans l’évolution récente du pentecôtisme polynésien ?

Il y a trois étapes dans l’histoire du pentecôtisme en Polynésie : la phase chinoise (début des années 60), puis, à partir des années 80, l’officialisation des ADD, sur la base d’un projet d’Église multiculturelle, et avec les années 90, peu à peu, on assiste à l’arrivée des courants charismatiques, qui ont un rapport complètement différent avec les cultures locales. Notamment à travers Youth with a Mission (Jeunesse en Mission). Depuis ma thèse et mon livre, l’arrivée charismatique s’est confirmée et amplifiée. Mes recherches les plus récentes portent davantage sur les effets de la diffusion des pratiques charismatiques. Sur le plan de la langue, on n’observe pas de différence par rapport aux vagues précédentes. La question la plus emblématique, c’est celle de la danse. Chez les pentecôtistes ADD, il n’est pas question de danser, alors que dans les mouvements charismatiques, oui, on danse ! (cf. le mouvement Island Breeze). Les cultures locales ne sont pas imperméables aux influences, mais on ne peut pas parler de créolisation à Tahiti comme on en parle dans les Caraïbes. On n’est pas dans les mêmes processus ni la même histoire.

Qu’en est-il des médias audiovisuels protestants locaux ?

La radio des ADD, Radio Té vévo Te Tiaturiaa, est écoutée y compris par des gens qui ne sont pas du tout dans les ADD. Elle émet à la fois en tahitien et en français. Il n’y a pas de télévision protestante locale. Les protestants à Tahiti et en Polynésie française ont une identité forte, et ancienne. Ils sont en relation avec d’autres aires protestantes du Pacifique mais il y a une certaine coupure de la langue entre le Pacifique francophone et le Pacifique anglophone. Les fidèles regardent maintenant de plus en plus de médias sur internet, quand c’est francophone. Des prédicateurs comme Shora Kuetu, Mamadou Karambiri, Joyce Meyer (traduite) sont écoutés, ainsi que certains pasteurs québécois comme Claude Houde en particulier. Je n’ai pas le sentiment que des portails comme ceux de Regardsprotestants ou Réforme soient regardés. Les réseaux sociaux, en revanche, sont actifs, surtout sur les terrains de la dévotion personnelle (prière, exhortation, versets bibliques). Mais il faut rappeler que  beaucoup de gens n’ont pas d’ordinateurs. Beaucoup de Polynésiens vivent dans des conditions économiques qui ne sont pas faciles. Par ailleurs, il n’y a de bonne connexion internet en Polynésie que depuis 2010, avec l’arrivée d’internet Haut Débit, mais pas dans toutes les îles. La consultation d’internet dans les milieux protestants n’en est donc qu’à ses débuts en Polynésie.