La messe est désertée, et la référence romaine est mise à distance, voire déconsidérée… sans que le Québec s’écroule, loin s’en faut.
Des « loups dans la bergerie » catholique
Si le lien entre « force » québécoise et catholicisme ne fonctionne plus aujourd’hui, il reste pertinent pour décrire le passé de la Belle Province. Le particularisme québécois s’est en effet largement façonné sur la base d’une double allégeance : d’une part à la langue française, d’autre part au catholicisme et son réseau scolaire. Le tiers exclu n’était autre que le Canadien anglophone et réputé protestant…. Un protestant au Québec, c’était un « loup dans la bergerie » ! Cet héritage du passé explique pourquoi le patrimoine protestant francophone québécois reste aujourd’hui méconnu. Et pourtant !
Contrairement aux idées reçues, tous les Québécois n’ont pas été catholiques. Dès l’origine de la Belle Province, le protestantisme a discrètement marqué ces terres de Nouvelle-France d’une empreinte aujourd’hui rappelée dans un ouvrage remarquable. Publié sous la direction de Marie-Claude Rocher, Marc Melchat, Philippe Chareyre et Didier Poton, il s’intitule Huguenots et protestants au Québec. Fragments d’histoire (Montréal, Novalis, 2014). Il est le fruit d’une collaboration paritaire d’historiens français et québécois, et a bénéficié de la collaboration de cinq centres d’archives privées, de quatre musées français et des Musées de la civilisation de Québec.
Histoire et mémoire du protestantisme francophone au Québec
Cet ouvrage collectif très richement illustré ne propose pas un récit continu de la présence historique du protestantisme au Québec, contrairement à ce que Jean-Louis Lalonde avait réalisé dans une synthèse impressionnante publiée il y a douze ans (1). Il ne se penche pas davantage sur l’ensemble de la francophonie protestante au Canada, qui déborde largement de l’espace québécois (2).
En revanche, il propose des clefs d’analyse à partir des recherches les plus récentes, et une réflexion sur la « mémoire », faite pour souder les groupes, et « l’histoire » en tant qu’étude objectivante du passé. Ouvert par une préface de Philippe Joutard et une introduction de Marie-Claude Rocher, l’ouvrage se structure en quatre séquences. La première rappelle le statut des huguenots comme « sujets protestants d’un royaume catholique »; la seconde décrit des trajectoires de « huguenots en Nouvelle-France : interdits mais toléré ». Corsaires et flibustiers ne sont pas oubliés, grâce à la plume savoureuse de Frank Lestringant.
Axe transatlantique
La troisième partie, toujours illustrée avec bonheur, ouvre sur l’époque contemporaine. Quatre auteurs s’y intéressent aux « franco-protestants » du Québec, tolérés mais occultés : on réalise alors que l’incorporation du protestantisme dans le patrimoine québécois est loin d’être une évidence. Aucun inventaire ne répertorie tous les « lieux de mémoire » protestants québécois. Les traces matérielles et symboliques du fragile héritage protestant restent à rassembler et à valoriser…. ce à quoi s’emploie ce livre, parachevé par une cinquième et dernière partie consacrée aux enjeux mémoriels soulevés par la présence protestante au Québec.
On remarquera la perspective résolument transatlantique donnée à l’ouvrage, qui nous rappelle que la francophonie n’est pas simplement une notion, une réalité linguistique, mais aussi un territoire circulatoire, entre rhizomes et réseaux (Marie-Claude Rocher), par-delà les frontières nationales.