Lorsque je me rends pour la première fois dans un établissement pénitentiaire, pour me repérer, je cherche au loin des miradors… et quand j’en aperçois un je sais que je ne suis pas loin du but ! Ici, à Aleria, sur la côte orientale de la Corse, au milieu des prairies et des moutons qui bordent une des rares lignes droites de l’île, seul ce panneau vous signale que vous longez un centre de détention ! Une allée de platanes qui mène à la mer, aucun bâtiment à proximité de la route nationale et pourtant vous traversez le domaine de Casabianda. Plaine marécageuse infestée de paludisme, au XIXè siècle un général d’empire tente de l’assainir pour en faire un vaste domaine agricole. Il s’y ruinera sans réaliser son projet. Bien plus tard, milieu du XXè, le ministère de la Justice l’acquiert et y établi un centre de détention bien particulier.
« Une bulle d’air dans le parcours pénitentiaire », c’est ainsi que qualifie ce lieu une des personnes détenues qui vient d’y arriver. Bordés par des bois, les trois bâtiments à un seul étage qui abritent les cellules n’ont pas de barreaux aux fenêtres, aucune porte blindée à ouverture télécommandée. Plus loin, les bâtiments d’élevage, les hangars de matériel agricole et d’exploitation forestière. Le domaine s’étend sur 1 500 ha. La journée de chaque détenu se déroule ainsi : ouverture des cellule à 6h, puis premier des six appels de la journée. Ensuite chacun va à son travail, soigner les porcs, traire les brebis, couper le bois, réparer le matériel, entretenir les espaces verts. A 20h, après le dernier appel, les étages sont refermés.
Lorsqu’elles ne sont pas occupées par leur travail, les personnes détenues peuvent aller librement dans ce vaste espace pour se promener, courir, se baigner, retrouver leur cellule dont chacun a la clef : « Pas de mur, pas de barbelés, à l’air libre… incomparable avec une maison d’arrêt ! ».
La population carcérale est ici composée principalement de personnes en fin de peine, le plus souvent très lourdes. Elles ont connu la promiscuité des maisons d’arrêt, le bruit et l’enferment strict des centres de détention avec leur corollaire de violence. En arrivant à Casabianda elles sont souvent désorientées par cette « liberté relative « : « Après l’expérience de la maison d’arrêt ici on réapprend à vivre : pas de sauvagerie, du calme, c’est une vraie réinsertion dans la vie que nous retrouverons à l’extérieur » apprécie l’un d’eux ce qu’un autre exprime ainsi : « Retrouver la sérénité dans l’endroit le plus improbable du monde ».
Aurions-nous ici trouvé la vraie réponse à l’exigence de réinsertion stipulée dans l’article 1 de la loi pénitentiaire ? La privation de liberté est faite pour punir et protéger la société, mais aussi réparer le tissu social, éviter la récidive, remettre sur d’autres rails ceux qui se sont perdus en chemin. Le taux de récidive (estimé à moins de 10%), est particulièrement bas comparé aux 63 % constatés au plan national. Le témoignage de ceux que nous accompagnons durant le temps de leur détention plaide en faveur de ce régime carcéral : « Du continent j’ai quitté mon ‘studio’ gris où j’avais dessiné des fleurs sur les murs. J’avais froid dans mes rêves. J’ai trouvé un autre chemin ensoleillé, un autre studio où les oiseaux s’envolent dans un ciel bleu, au-dessus d’une mer bleue… dans le domaine de Casabianda, sur l’Ile de Beauté, où les hommes sont sauvés de leurs péchés ».
Cette vision presque paradisiaque en agace plus d’un : est-ce normal que des personnes condamnées puissent bénéficier de telles conditions de vie ? Leur punition ne devrait-elle pas être plus rigoureuse ? Les détenus de Casabianda sont conscients de la réaction suscitée à l’extérieur : « Casabianda est une caricature de ce que victimes ou même simples citoyens, ne peuvent accepter pour des détenus, écrit l’un d’eux. Et pourtant, ici, nous sommes remis, seuls, face à nous-mêmes. Dans les conditions particulières d’exécution de cette peine nous sommes les seuls gardiens de nous-mêmes et nous y réapprenons la vie en société, libres vis-à-vis de nos prochains ».
Le tableau comporte des nuances, toutes les personnes détenues ne vivent pas leur parcours pénal dans des conditions idylliques ! Cette liberté relative peut perturbe les nouveaux arrivants, l’un d’entre eux me disait son angoisse en ne retrouvant pas ici là qu’il connaissait aux Baumettes : « A Casabianda nous avons les deux côtés de la carte postale : le bon côté c’est le cadre et la possibilité de faire de l’exercice en plein air. Mais c’est sans compter avec l’éloignement insulaire[1] qui restreint les visites des proches et complique les départs en permission ».
L’expérience de Casabianda devrait-elle être étendue à un plus grand nombre de lieux de détention ? Les « prisons ouvertes » des pays scandinaves ne pourraient-elles pas être multipliées sur le territoire à la place des traditionnels centres fermés ? En Suède[2], par exemple, le taux de récidive est deux fois moins élevé qu’en France. Certes l’existence de centres de détentions « ouverts » n’explique pas à elle seule cette performance. Le traitement pénal, l’accompagnement des personnes privées de liberté, et le système carcéral dans son ensemble contribuent à cette réelle réinsertion de ceux qui un jour ont dérapé. La privation de liberté ne doit pas être synonyme de déshumanisation, voire d’infantilisation. A maintes reprises j’ai pu constater que la « case » prison était salutaire, de l’aveu même des personnes condamnées, l’incarcération leur a permis d’effectuer un nécessaire retour sur eux. Encore faut-il les accompagner sur le chemin du retour « normalisé » à la société dont ils ont déchiré le tissu. Il est regrettable de ne pas exploiter plus profondément tous les enseignements tirés de cet autre type de détention.
[1] La très grande majorité des personnes détenues sont originaires du continent voire de l’outre-mer
[2] Source : www.village-justice.com