La justice a tranché mardi 11 mars : l’État va devoir indemniser les victimes du chlordécone qui démontrent un préjudice moral d’anxiété avéré, a indiqué la cour administrative d’appel de Paris. La responsabilité de l’État est ainsi reconnue dans ce scandale environnemental aux Antilles. Pour rappel, le chlordécone est un pesticide qui peut entraîner des risques pour la santé humaine. Il a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu’en 1993, malgré des alertes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui l’avait classé comme « cancérogène possible » dès 1979. « Très persistant, il a contaminé durablement les sols et l’eau, et impacte encore aujourd’hui les cultures et les productions animales », explique l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur son site.

Le chlordécone a été utilisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe de 1972 à 1993. L’utilisation de ce pesticide durant plus de vingt ans a entraîné une pollution des sols, de l’eau des rivières et du milieu marin. Il se retrouve dans des denrées végétales ou animales : légumes racines, poissons, crustacés, œufs, etc. En revanche, aucune trace de chlordécone n’a été retrouvée dans l’air. « La voie alimentaire demeure donc à ce jour la principale voie d’exposition pour les populations guadeloupéennes et martiniquaises », souligne l’Anses. Une étude menée par l’Agence a par ailleurs montré que le chlordécone a été détecté chez plus de 90% des individus dans la population générale en Guadeloupe et en Martinique.

Les risques du chlordécone sur la santé

Le chlordécone est reconnu par l’Anses comme pouvant avoir des effets néfastes sur le système nerveux et hormonal, la reproduction et le fonctionnement de certains organes (foie, rein, cœur…). En juillet 2021, l’Anses avait conclu à une relation causale probable entre le chlordécone et le risque de cancer de la prostate. Le taux d’incidence de ce type de cancer en Guadeloupe et en Martinique fait partie des plus élevés au monde, indique La Croix. D’autres études ont montré que l’exposition prénatale et post-natale à ce pesticide augmente le risque de naissance prématurée et le risque d’impact sur le développement cognitif de l’enfant. Mardi 11 mars, la cour administrative d’appel de Paris a estimé que l’État avait commis « des fautes en accordant des autorisations de vente d’insecticides à base de chlordécone, en permettant leur usage prolongé, en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée ».

L’État doit donc réparer le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution lorsqu’il a été démontré. Parmi les 1286 plaignants de Martinique et de Guadeloupe, seules une dizaine de victimes peuvent prétendre à une indemnisation en raisons de preuves (analyses de sang et études environnementales). « En discriminant les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, la cour ne tient pas compte des effets avérés du chlordécone sur la santé publique », a réagi Me Christophe Lèguevaques, l’un des avocats des parties civiles. Il a tout de même salué une « victoire » dans l’avancée de ce dossier. Le préjudice d’anxiété est une détresse psychologique ressentie par une personne qui craint de développer une maladie grave après avoir été exposée à une substance nocive. Il a déjà été reconnu dans le cadre professionnel et dans le domaine médical, mais sa reconnaissance à la suite d’une pollution de l’environnement est une première indique La Croix. En juin 2022, en première instance, le tribunal administratif avait reconnu « les négligences fautives » de l’État, notamment pour l’autorisation de dérogations d’utilisation du pesticide dans les bananeraies des Antilles, au-delà de la date d’interdiction de 1990 à 1993. Les demandes d’indemnisation pour « préjudice d’anxiété » avaient été rejetées, faute d’éléments suffisamment circonstanciés à ses yeux.