Et si une des grandes questions était, comme un iceberg, enfouie dans les eaux glacées de nos démocraties libérales… Celle que l’on reporte, celle que l’on diffère, celle que l’on repousse à chaque élection, mais qui taraude tout l’édifice de nos valeurs humanistes, du vivre-ensemble, de nos convictions religieuses ?
En Europe, 1/3 des actifs se trouvent en situation de précarité… Pour ces personnes, les besoins primaires (se loger, manger, se chauffer) deviennent des questions essentielles, la vie même (cf. Observatoire des inégalités).
Comment vivre dignement ?
Alors se pose la question : « Comment vivre dignement lorsque le travail ne paie pas assez ? » Avec ces conséquences : « Comment demander de l’aide sans se sentir humilié ? Comment continuer à faire confiance à la démocratie, à un gouvernement qui semble vous délaisser ? » Et, par-dessus tout, ces travailleurs (espagnols, français, italiens, suédois, allemands, etc.) témoignent « d’une insécurité chronique » difficile à gérer car ils « ne vivent que des fragments de vies »... La pauvreté reste souvent cachée. La pauvreté isole… La pauvreté rend malade, dépressif.
Tel est le témoignage d’une jeune Espagnole de 26 ans, livrant à Barcelone pizzas et autres marchandises avec son vélo-cargo : « Je rêve de stabilité dans ma vie, mais avec l’incertitude de l’emploi, on n’a aucune prise… Pas de projets personnels, pas d’enfants… C’est une lutte permanente. Je rêve que les inégalités sociales se réduisent. Il faut continuer la lutte. Ce qui me fait peur, c’est que les gens arrêtent la lutte. »
Précarité, « précaire », ce mot est emprunté au latin juridique precarius : obtenu par la prière, pour désigner ce dont l’avenir, la du rée, l ’emploi n’est donc pas assuré automatiquement. C’est l’incertitude constante du lendemain, de ce que demain sera fait.
La parabole des ouvriers de la 11e heure
La Bible, l’Évangile (qui est une bonne nouvelle…), nous demande certes de prier, mais surtout propose dans la parabole de la Onzième Heure (Mt 20,1-16), que tout travailleur reçoive un revenu lui permettant de « vivre ». Le Maître de la Vigne décide en effet de rémunérer chacun de ces ouvriers par un denier par jour (cela permettait à une famille de 4 personnes de vivre pendant une journée) et ce, « qu’il soit arrivé à la première ou à la dernière heure, c’est-à-dire en fin de la journée de travail. » Nous le voyons, le propriétaire de la vigne ne montre pas une générosité particulière. Il semble, au contraire, tout à fait soucieux de son argent pour en tirer profit. Au XXIe siècle (comme au Ier siècle), cela nous semble « injuste » par rapport au travail fourni par les ouvriers. En fait, ce qui gêne les ouvriers de la première heure, ce n’est pas tant ce qu’ils ont reçu, mais que les autres qui ont moins travaillé reçoivent la même somme. De nos jours encore, le versement de certaines aides sociales est l’objet de critiques similaires. Pour le Christ, ce qui compte, c’est que chacun reçoive ce qu’il lui faut pour vivre décemment.
La question de la dignité
Dans nos démocraties, qui seront de plus en plus diverses, se pose, se posera la question centrale de la dignité humaine, qui dépend aussi de la solidarité, de la rémunération du travail ou du manque de celui-ci à certains moments de notre vie.
Dans quelle société voulons-nous vivre ? Voilà la grande question que les démocraties auront à résoudre dans les années à venir !
Il nous faut aujourd’hui, malgré les difficultés économiques, nous questionner individuellement, en tant que citoyens, en tant que croyants : « Que voulons-nous pour toutes ces personnes qui vivent dans la précarité ? »
Par Daniel Pouyatos, prédicateur à Montauban