À écouter les soutiens de Depardieu, nous n’aurions, en tant que citoyens ou spectateurs, à nous sentir concernés en rien face aux accusations contre l’acteur. Nous aurions seulement à apprécier son talent d’acteur devant la caméra, sans avoir à être touchés par ce qui se passe derrière. Nous n’aurions pas à nous faire une opinion face à l’avalanche de témoignages. Ce serait uniquement l’affaire de la justice, «que la justice» écrivent les signataires. Nous serions sans responsabilité. Pire que cela: se sentir responsable de l’autre, des personnes violentées, rendre leurs témoignages publics, désapprouver ces comportements, ce serait participer à un «lynchage», une «chasse à l’homme». Pourtant, raisonner ainsi, c’est oublier qu’il n’y a pas que l’État (l’institution judiciaire): il y a la société dans sa diversité et la diversité de ses responsabilités.

Établir les faits, une responsabilité de la société

Pour dire des faits, il n’y a pas que la justice. La société et certaines de ses institutions ont aussi cette responsabilité, les journalistes et les historiens, par exemple. Pour savoir que les attentats du 11 septembre ont bien eu lieu et qu’Al Qaida en était à l’origine, on n’attend pas une décision judiciaire, le travail de presse fait foi. Pour savoir que Dreyfus était innocent, il vaut mieux s’en remettre aux historiens et aux journalistes de son temps qu’à l’institution judiciaire. Le propre de la justice ne consiste d’ailleurs pas tant à dire les faits qu’à prononcer des sanctions mises en oeuvre grâce au monopole de la violence légitime de l’État, prison ou amende. La justice reconnaît volontiers que – par exemple sur les faits de pédophilie ou de viol – elle ne peut souvent pas prononcer les faits car ses critères sont restrictifs pour retenir des preuves et que par exemple elle s’applique une prescription des faits. Des institutions de la société civile disent mieux le factuel que la justice et c’est leur responsabilité d’aller chercher et de divulguer les faits.

Spectateurs et consommateurs responsables

En société, nous sommes aussi des consommateurs, consommateurs de cinéma. Sur des faits établis – et face à l’avalanche de témoignages sur Depardieu, qui pourrait nier le harcèlement sexuel systématique sur les lieux de tournage ? – les thuriféraires de l’acteur nous somment de détourner les yeux. Notre seule attention devrait se porter sur la pellicule. Mais être consommateur n’est pas seulement trouver un film réussi ou pas, un acteur géant ou secondaire: depuis des décennies émerge une responsabilité sociétale de consommateur. S’il est précisé dans certaines bandes annonces à notre destination de spectateur qu’aucun animal n’a subit de traitement cruel sur un tournage, n’est-ce pas une évidence, a fortiori, que nous sommes concernés si c’était le cas pour les humains qui y ont travaillé ? Si je souhaite que mes […]