L’affaire pourrait entacher durablement l’image d’Emmaüs, fondée par l’Abbé Pierre. Depuis début juillet, des compagnons sans-papiers de l’association font la grève et clament leur colère devant l’antenne de Saint-André-lez-Lille dans le Nord.

Le parquet de Lille a ouvert, en mai, une enquête préliminaire pour « traite d’êtres humains » et « travail dissimulé » visant la halte Saint-Jean. Une vidéo du Parisien fait ainsi témoigner des compagnons qui font le piquet de grève pour dénoncer leurs conditions de travail dans cette antenne. « C’est de l’esclavage, ce qu’on vit ici. C’est catastrophique. » explique Mawloud, Algérien arrivé dans l’association il y a deux mois.

Happy, Nigériane de 26 ans, explique qu’elle a dû travailler jusqu’au dernier jour de sa grossesse. « J’ai travaillé toute la journée jusqu’à 17h, je suis rentrée à la maison, j’ai fait ma valise et à 23h je suis partie à l’hôpital pour accoucher ».

Mensonges sur la carte de séjour

La responsable de la communauté et présidente Emmaüs du Nord-Pas-de-Calais, Anne Saingier, est soupçonnée d’avoir mis en place un système d’exploitation de plusieurs dizaines de travailleurs sans-papiers, jamais déclarés et recrutés sur de fausses promesses. C’est ce qu’écrit StreetPress après plusieurs mois d’enquête et de recueil de témoignages d’une dizaine de victimes présumées.

Les compagnons d’Emmaüs sont des personnes très précaires à qui l’association offre un hébergement décent, un accompagnement social et une allocation communautaire d’environ 350 euros. Ils doivent participer à un travail en vue de leur insertion sociale.

Les structures qui accueillent des compagnons doivent avoir un agrément Oacas (organismes d’accueil communautaires et d’activités solidaires). Elles cotisent à l’Urssaf, ce qui permet aux compagnons de bénéficier de la protection sociale. Depuis 2018, les compagnons peuvent avoir une carte de séjour s’ils sont en mesure de justifier de trois années d’activités au sein d’un Oacas.

Les victimes interrogées par StreetPress affirment toutes avoir été recrutées sur la promesse d’une régularisation. Mais Anne Saingier a avoué qu’elle n’avait pas l’agrément Oacas lors d’une réunion dont l’audio a été enregistré.

Des maltraitances et du chantage

Ces personnes sans-papiers ne seront donc pas régularisées, et sont considérées comme des bénévoles. Mais ce bénévolat s’effectue dans des conditions de travail ahurissantes : les personnes seraient contraintes de travailler cinq jours par semaine, huit heures par jour et seraient rémunérées 150 euros par mois, après le paiement d’une redevance pour leurs logements, entre 20 et 110 euros.

Elles recevraient des colis alimentaires, souvent périmés, dont le coût serait soustrait de leur salaire. Leurs chambres seraient régulièrement fouillées en leur absence, et leur travail contrôlé par une caméra de vidéosurveillance.

Toujours selon StreetPress, Anne Saingier menaçait régulièrement d’expulsion les membres de la communauté, lorsqu’ils souhaitaient être mis en arrêt maladie ou témoignaient de leurs maltraitances à l’extérieur. Certains, blessés ou enceintes, auraient été contraints de continuer à travailler malgré tout.

L’enquête de StreetPress décrit une véritable situation d’emprise, et des mensonges à répétition de la responsable de la communauté. Face aux fermes dénégations de la communauté Emmaüs andrésienne, il faudra donc attendre que l’enquête, ouverte par le Parquet de Lille, fasse la lumière sur l’affaire.

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