L’acharnement procréatif qu’encourage la science en multipliant les innovations techniques se limite à la période de conception et prend fin dès la naissance. Comme si cet enfant naissait constitué, comme si son développement était achevé, comme s’il était un petit être autonome dès sa venue au monde.

La première année est décisive

Le cerveau d’un nouveau-né est en pleine croissance au cours de la première année de vie. Il n’y a pas d’être plus vulnérable qu’un nourrisson. La violence à son égard, l’abandon, créent des dommages dévastateurs et irréversibles pour sa vie entière. Le paradoxe est que des millions d’euros seront dépensés pour repérer tel ou tel gène jugé délétère avant la naissance, mais bien peu pour aider la mère et l’enfant, une fois celui-ci né. Pourtant, elle vit parfois dans une grande précarité, peut souffrir d’addictions diverses (alcool, drogues…), éprouver de multiples difficultés à accompagner les premières semaines, les premiers mois déterminants de la vie de son enfant. Parallèlement la monoparentalité, encouragée par l’assistance à la procréation, s’accompagne souvent d’un sentiment de grande détresse à la naissance.

La petite enfance devrait être une priorité de l’aide sociale

La société a renoncé à exercer sa responsabilité majeure de pallier cette fragilité, dont les conséquences graves pour l’avenir sont pourtant bien connues. La Protection maternelle et infantile (PMI) de mes premières années d’exercice de la médecine a considérablement régressé 1 sans que personne ne s’affecte de la lente dégradation de ses missions au service du bien commun. Les consultations hospitalières de néonatologie 2 ressemblent désormais à des marchés persans en raison de l’affluence considérable de mères désespérées par la raréfaction dramatique des pédiatres, neuropédiatres et pédopsychiatres. L’allaitement est parfois encore jugé archaïque alors que ses innombrables bénéfices sont confirmés par toutes les études scientifiques. Ne pas considérer le petit d’homme comme une priorité absolue de l’aide sociale, pendant la première année tout au moins de sa vie, constitue une menace pour notre humanité à l’avenir. Notre obsession de la performance procréative et la primauté du confort personnel, quelles qu’en soient les conséquences, seront payés au prix fort au XXIe siècle, dans l’indifférence générale. Une indifférence indigne de notre humanité.

Didier Sicard, médecin, ancien président du Comité national consultatif d’éthique

1 Nadia Amrous, « Protection maternelle et infantile (PMI) : un recul de l’activité et une forte baisse des effectifs de médecins entre 2016 et 2019 », Paris, DRESS, no ⁄1227, 18 mars 2022. https://www.bnsp.insee.fr/ark:/12148/bc6p07b9z0h.texteImage

2 La néonatalogie est une branche de la médecine qui s’occupe du nouveau-né.