Comme le souligne Clapp, elle est envisagée, le plus souvent, sous les traits d’une « famille nucléaire composée d’un couple hétérosexuel (marié) et de ses enfants » où « le mari et père gagne le pain et l’épouse et mère s’occupe des travaux ménagers et de l’éducation des enfants ». Le foyer y est le plus souvent considéré comme le lieu refuge face aux difficultés de la vie. On y prête une attention marquée aux enfants. Les rôles sont répartis : la femme materne dans la soumission à son mari, qui protège et dirige le foyer. L’un et l’autre se sont choisis sur la base de l’amour mutuel. Cette vision, dont certains sont encore nostalgiques, correspond à la conception de la classe bourgeoise et moyenne du xixe siècle.
Les patriarches et la famille clanique
Du temps d’Abraham, la famille était tout autre. Loin du modèle nucléaire de quatre à six membres, le clan pouvait compter cinquante à cent personnes. Le couple et ses enfants étaient partie prenante d’une structure plus large qui englobait une unité économique productive. Ensemble, ils cultivaient leurs terres, commerçaient ou exerçaient des professions artisanales pour assurer leur survie collective. Les mariages étaient le plus souvent des mariages de raison, fondés sur les intérêts d’un clan de s’unir à un autre pour consolider les alliances, ou endogamiques pour préserver un éventuel patrimoine. Si les unions se faisaient sous le regard du patriarche, elles n’étaient pourtant pas exemptes de rapports de séduction ou d’amour.
La famille, un concept aux frontières mouvantes
Entre Abraham et le xixe siècle, la famille a connu bien des crises, des changements, des révolutions. L’histoire du couple et de la famille s’articule autour de besoins élémentaires sans cesse réévalués : pourvoir aux besoins de ses membres, réguler les pulsions sexuelles et les rivalités qui pourraient en découler, et proposer un environnement sécurisant aux enfants qui viendraient à naître. Ces soixante dernières années, en deux générations, le monde a connu de profondes transformations : la maternité a été domestiquée par l’accès aux méthodes contraceptives et à l’avortement. Ces évolutions ont permis aux femmes d’imaginer de nouvelles trajectoires : formées, elles peuvent subvenir à leurs besoins et sont donc moins dépendantes d’un conjoint. Si les sentiments peinent à perdurer, il est aujourd’hui possible de se séparer en comptant sur le soutien de l’État. La monoparentalité est de nos jours répandue, de nombreux adultes élèvent leurs enfants tout seuls, souvent sans soutien de la parenté.
Que reste-t-il donc aux couples pour évoluer dans la durée, assurer leur propre sécurité et celle de leur descendance ? L’engagement ? L’engagement gravé dans le marbre, devant témoins, est aujourd’hui devenu facultatif. La plupart des couples qui se marient encore sont motivés par le projet d’enfant. C’est lui qui scelle la volonté d’inscrire le couple dans la durée. Après avoir été clanique, puis nucléaire, la famille est désormais composée d’individualités qui cheminent de façon autonome. La structure saura-t-elle résister à l’épreuve ?
Marie-Noëlle Yoder, pasteure, enseignante et directrice du Centre de formation du Bienenberg
1 Rodney Clapp, Dépassée ? Resituer la famille dans la société et dans l’Église, coll. « Nouvelles Donnes relationnelles ? », Farel, 1993, p. 9-10.