Spécialisée en sciences de l’éducation, Catherine Evuort Moïse se prépare pour une recherche de longue haleine sur les abus d’autorité et dérives sectaires en milieu évangélique français (métropole et Antilles). Pour besoin d’enquête, elle s’est rendue à « La Place », grand rassemblement évangélique à Vincennes (du 8 au 10 mai 2025), et nous partage ses observations de terrain.
Catherine Evuort Moïse, merci de vous présenter en quelques mots pour nos lecteurs
Je m’appelle Catherine Evuort-Moïse. Originaire de la région parisienne je travaille sur la thématique des dérives en contexte évangélique en France (Hexagone et Antilles) dans le cadre d’un doctorat en sociologie que j’entame à l’EPHE-PSL.
Vous commencez une enquête sur les dérives de l’autorité et du contrôle social. Pensez-vous que la parole se libère plus facilement depuis #MeToo ?
Je perçois dans le sillage de #MeToo une opportunité de nommer avec plus d’aisance une réalité que l’on pouvait penser diffuse ou marginale. La violence se présente sous des formes diverses et elle s’exprime dans toutes les sphères de la société, dont les familles et les organisations évangéliques (Églises, œuvres, instituts,…). Le média Christianisme Aujourd’hui a d’ailleurs consacré son dossier de février 2025 au thème « Les Églises, terreau fertile des abus ». Les violences sexuelles constituent des infractions, des délits ou des crimes qui peuvent être, à ce titre, sanctionnés par la Justice. Nommer la violence comme telle (et protéger !), quel que soit le lieu où cette violence s’exprime, est à mon sens l’enjeu du rendez-vous #MeToo lancé à la société toute entière.
Quelle a été votre impression générale du rassemblement évangélique La Place 2025 ?
C’est avec beaucoup de curiosité que j’ai découvert ce rendez-vous annuel des acteurs évangéliques au Parc floral de Paris (Vincennes). Le monde évangélique est réputé dynamique, j’ai pu le constater à travers la diversité de son offre culturelle : l’enseignement, la formation, la relation d’aide, les arts, l’artisanat, l’entreprenariat, la mission… .
Quelle part a été donnée, dans les ateliers et événements proposés, à la question des abus sexuels dans les Églises ?
D’une part, j’ai constaté la présence d’un stand dédié à la cellule d’écoute Stop Abus du Conseil National des Evangéliques de France (CNEF), un service de signalement des violences sexuelles commises dans le cadre ecclésial par une personne en situation d’autorité[1]. La coordinatrice, Myriam Letzel, intervient dans des actions de formation et fait partie des contributeurs d’un ouvrage collectif dirigé par La Fédération Protestante de France (FPF) intitulé Comprendre et lutter contre les violences en protestantisme[2]. Publié en février 2025 cet ouvrage de la FPF est concomitant à l’ouverture d’une ligne d’écoute pour les victimes de « violences sexuelles et spirituelles » en partenariat avec l’association France Victimes.
D’autre part, j’ai noté l’absence de conférence ou atelier dédié aux violences sexuelles et abus d’autorité sur les trois journées d’évènement. On peut faire l’hypothèse qu’un atelier ou une session plénière auraient donné une plus large visibilité aux mesures de prévention et d’accompagnement mises en place par le CNEF, à l’attention du « public » évangélique venu participer à ce rassemblement (plus de 4000 participants). En tout état de cause la présence de Stop Abus à La Place témoigne de la mobilisation du CNEF sur la question des violences en Église.
Cette mobilisation prend aussi la forme d’actions de sensibilisation qui mettent en évidence les mécanismes de violence, et fournissent des ressources utiles pour repérer, signaler et se faire accompagner, comme le webinaire sur les violences conjugales du 24 juin 2025[3]. Plus largement, le travail de réflexion pluridisciplinaire sur la question des abus d’autorité dans les Églises, annoncé par le CNEF pour son mandat 2025-2028, sera intéressant à suivre.
Vous avez pu assister à plusieurs ateliers en rapport avec l’élan missionnel revendiqué par le CNEF : quels en sont les points saillants ?
La feuille de route Ensemble en mission a été singulièrement déployée lors de l’évènement La Place avec des thématiques d’ateliers qui en sont directement inspirées. Parmi les points abordés lors de ces sessions quelques éléments me semblent intéressants à citer. Premièrement un accent sur l’insertion fidèle et active des croyants dans une Église locale. Deuxièmement le témoignage personnel, en particulier l’invitation à l’élaborer sous un format de discours de 1 à 3 minutes (une modalité qui rappelle ce que l’on connaît sous le terme de pitch dans le monde professionnel). Troisièmement la multiplication de disciples, les chrétiens étant désignés comme des « disciples qui font des disciples ». Ces éléments, parmi d’autres, semblent composer une stratégie missionnelle élaborée autour de la duplication de « groupes de maison » ou de « groupes de découverte » pour (re)vitaliser le tissu d’Églises sur le territoire, avec le concours actif des membres des communautés évangéliques locales. Des discours et des actions qui entrent en résonnance avec un christianisme de conversion axé sur l’évangélisation comme mandat, tel qu’il est identifié dans le champ de la recherche sociologique sur le protestantisme évangélique. Reste à voir comment l’enjeu de la prévention des abus sera intégré, pour que ne sonne pas creux cet objectif d’ « une vie en accord avec le message proclamé » (titre d’un atelier organisé La Place).
[1] Le service d’écoute Stop abus
[2] Fédération Protestante de France (dir.), Comprendre et lutter contre les violences en protestantisme, Paris, Bibli’O, 2025.
[3] Replay du webinaire : Violences conjugales : et dans les Églises évangéliques ?