Durant les années 1960, la « reine du Gospel », Mahalia Jackson, a accédé à une nouvelle dimension. En première ligne du combat des Droits civiques porté en particulier par Martin Luther King Jr, elle est accueillie plus que jamais à bras ouverts.
Quatrième volet (4/4) de la série Mahalia Jackson et la France
Après s’être rendue en France en 1952, la chanteuse de Gospel Mahalia Jackson a accompagné, avec une fidélité jamais démentie, les combats des Droits Civiques aux Etats-Unis. Amie proche du pasteur Martin Luther King Jr, elle apporte une aide musicale, financière, médiatique aux militants noirs et met en pratique, dans l’actualité américaine, ce qu’elle chante. Elle contribue à la réalisation d’une grande espérance, celle de la fin de la ségrégation scolaire, sociale, spatiale aux Etats-Unis. C’est elle qui chante, juste avant le discours de Martin Luther King Jr à Washington, le 28 août 1963, devant le Lincoln Memorial. Et lorsque le Dr King, qui lui succède au micro, paraît dériver vers un registre trop convenu, c’est elle qui l’interpelle, et lui crie : « Tell them about the dream, Martin ! » (Parle-leur du rêve, Martin!). Il ne reste alors que six minutes de discours disponibles pour le prédicateur.

C’est cette fois-ci la salle de l’Olympia qui accueille Mahalia Jackson, toujours accompagnée de sa fidèle Midred Falls. Malgré un piano légèrement défaillant, sa voix puissante, chargée d’émotion, fait mouche. La foule lui fait un triomphe, Hugues Panassié, Billy Strayhorn -arrangeur de Duke Ellington-, le jazzman Mezz Mezzrow ne sont pas les derniers à la féliciter. Un mois et demi plus tard, lectrices et lecteurs francophones la retrouvent en couverture de Jazz Magazine (n°69, avril 1961). Puis dans la revue Jazz Hot (n°166, juin 1961), Jean Tronchot observe, au sujet de son concert à l’Olympia : « Ici, le terme de « message », si galvaudé ces dernières années, prend tout son sens : Mahalia se veut apôtre avant d’être artiste ». Son nom, désormais, n’évoque plus seulement le Gospel et les Spirituals : on la reconnaît pour apôtre ou ambassadrice du combat alors mené, outre-Atlantique, pour l’égalité des droits entre les noirs et les blancs.

Quelques mois plus tard, la revoici à à Paris à la salle Pleyel, fin juin 1969. Dans les colonnes du quotidien Le Monde, Lucien Malson fait remarquer que la nouvelle génération connaît désormais mieux le répertoire d’Aretha Franklin que celui de la doyenne du Gospel. Il observe qu’ « elle n’éprouve pas le désir de solliciter les désormais communes ressources de l’électronique qui donnent cette couleur sonore que l’oreille contemporaine espère et attend. Mais il faut savoir écouter, reconnaître l’essence par-delà l’accident et percevoir dans l’extatique Didn’it rain (l’une des meilleures interprétations du récital) la source non encore tarie de la musique populaire d’aujourd’hui »[3].
La francophonie protestante, de son côté, lui a-t-elle réservé un accueil à la mesure de son immense talent, bientôt objet d’un biopic sur Netflix[4] ? C’est beaucoup dire. Mais la « vedette » Mahalia Jackson est fort appréciée des protestants français, comme en témoigne cet article de l’hebdomadaire de l’Armée du Salut, En Avant, qui publie un article à l’occasion de la sortie de l’autobiographie de la chanteuse, en septembre 1969. On souligne la foi de Mahalia Jackson, mais aussi son humilité et sa ténacité, face « au problème racial » :
« C’est à l’Eglise baptiste qu’elle commença à chanter. C’est là qu’elle apprit ses fameux « gospelsongs ». C’est là, et ainsi, qu’elle choisit de témoigner de sa foi en Dieu et en Jésus-Christ. Elle a rencontré bon nombre de hautes personnalités. Mais comme elle le dit dans un livre qui retrace sa vie et dans lequel elle aborde le problème racial dont elle a tant souffert, ceux qui l’ont le plus impressionnée sont John F. Kennedy et surtout Martin Luther King. Malgré son succès, l’argent, la gloire, Mahalia Jackson a réussi à rester elle-même. C’est sans doute son plus grand exploit. »[5]
Un encart, aux côtés de l’article de En Avant, ajoute un citation de Mahalia Jackson. Elle reprend le message de non-violence de Martin Luther King Jr à partir d’un ancrage biblique qui conserve son actualité, face à toutes les colères et tentations répressives ou séparatistes : « Celui qui se prétend chrétien n’a pas le droit de se réfugier dans la violence. Les forts en esprit doivent supporter les défauts des faibles. C’est l’enseignement de la Bible ».[6]
[1] Garry Dorrien, Breaking White Supremacy, Martin Luther King Jr and the Black Social Gospel, Yale University Press, 2018 p.370.
[2] Christian Goubault, « L’isle joyeuse », Précis analytique des travaux de l’académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1992-93, ed. Lecerf, Rouen, 1995, p.58.
[3] Lucien Malson, « Mahalia Jackson à Pleyel », Le Monde, 28 juin 1969.
[4] Le film Netflix, intitulé Mahalia !, sera produit par Queen Latifah et Jamie Foxx. Jill Scott, chanteuse de jazz et actrice de la série Netflix Black Lighting, prêtera ses traits à la chanteuse.
[5] Alba, « Une grande vedette », hebdo En Avant, 27 septembre 1969, p.8.
[6] Mahalia Jackson, Encart : « pensée », hebdo En Avant, 27 septembre 1969, p.8.

