Et si on allait se baigner ? Profiter d’un bain de mer fait partie, aujourd’hui, de la panoplie des plaisirs estivaux. Des Caraïbes aux calanques de Cassis, l’espace francophone regorge de plages prêtes à accueillir les baignades. Rien de tel au XVIIIe ou XIXe siècle ! La mer, on la regarde alors depuis la terre ferme, ou on y navigue. Entrer dans l’eau salée en tenue de bain, non merci. On doit à une protestante non-conformiste, Coraly Hinsch (1801-1890), décédée un 14 juillet, d’avoir contribué à ouvrir la voie.
En Méditerranée francophone, c’est à Sète (Hérault) qu’un premier établissement de bains de mer ouvre en 1846, sous l’impulsion de Coraly Hinsch.
Mais avant de revenir sur cette création singulière, rendons à nos amis Britanniques ce qu’il leur revient : c’est depuis l’espace anglophone que l’Europe a commencé à promouvoir de nouveaux usages -récréatifs et thérapeutiques- de la mer et de l’océan. L’évolution s’accélère, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, grâce aux plaidoyers d’un docteur protestant (anglican), Richard Russell (1687-1759). Ce dernier vante les vertus du bain de mer, qu’il conçoit comme un médicament prévu par Dieu pour vaincre la maladie. Traduit du latin, il publie en 1752 Glandular Diseases, or a Dissertation on the Use of Sea Water in the Affections of the Glands. Le livre marque les esprits. Maintes fois réédité, l’ouvrage du docteur anglican devient une telle référence que près d’un siècle plus tard, l’historien français Jules Michelet s’exclamera, à son sujet : « Russell a inventé la mer ».
Sensation à Sète : ouverture d’un établissement de bains de mer
La pratique des bains de mer à usage récréatif et thérapeutique commence lentement à se populariser, au sein de la bourgeoisie et de la noblesse. Le phénomène s’observe d’abord en Angleterre du Sud, puis sur les plages françaises de l’Atlantique. Mais quid de la Méditerranée ? Cette mer, pourtant a priori plus chaude et accueillante aux baignades, ne s’ouvre pas vite à la nouvelle mode. Alors qu’au Croisic, à Dieppe, La Rochelle, Cherbourg, des centres de thérapie aux bains de mer s’ouvrent progressivement à partir des années 1820, il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que la Méditerranée en découvre à son tour les attraits. Lorsqu’en 1846 s’ouvre à Sète (qu’on orthographie alors Cette) un établissement de bains de mer, c’est l’événement. On n’avait jamais vu ça ! Il a fallu toute l’énergie entreprenariale, la détermination et l’audace de Coraly Hinsch (1801-1890) pour y parvenir.
En France, les Archives Nationales ont conservé sa trace via le segment F19 consacré aux « cultes non reconnus ». Née à Sète le 8 août 1801, de famille protestante aisée, Coraly Hinsch, épouse Armengaud, s’est en effet signalée par un appel prophétique singulier. Très fervente, elle est frustrée, dans son milieu chrétien d’origine, par ce qu’elle estime être un manque de zèle, de cohérence et de force. « Les gémissements et les plaintes des chrétiens faibles et indécis étaient à ses yeux les symptômes d’une maladie morale dont elle avait été radicalement guérie », rapporte le livret publié à l’occasion de son décès, le 14 juillet 1890 (1). Dotée d’une grande autorité charismatique et d’un capital social et économique qui lui permet de voir grand, elle a ouvert une voie originale, celle des Eglises dites « hinschistes ».
Au fil d’un itinéraire sous le sceau de l’apostolat, combinant prédication, visites, publication et structuration d’un réseau, Coraly Hinsch est à l’origine d’un petit réseau d’Eglises protestantes considérées, à l’époque, comme « sectaires ». Mais « sectaires » pour qui ? La théologie développée, considérée comme « hétérodoxe », n’en est pas moins indubitablement chrétienne, et les formes sociales adoptées sont celles du protestantisme, avec cette ouverture à l’époque impensable : donner à une femme les rênes de la direction spirituelle, du pastorat, de l’enseignement. Ce qui valut à Caroly Hinsch nombre de quolibets et expressions de mépris. Ouvertes aux charismes à la prédication féminine, Coraly Hinsch l’était aussi à l’action sociale, prêchant que l’Evangile ne vaut que s’il est vécu, mis en application.
15.000 malades aux bains de mer à Sète
C’est un nom de cette conviction que cette fervente protestante établit, en 1846, son établissement de bains de mer à Cette (Sète). Avec, immédiatement, une singularité évangélique notable par rapport aux structures similaires déjà mises en place sur les plages de l’Atlantique : cette fois-ci, l’établissement ouvre pour les « malades indigents », les pauvres, les rejetés. Beaucoup se moquent, font preuve de scepticisme. Son neveu Edouard Krüger dira, lors d’un culte commémoratif : « Quelle opposition ne rencontre-t-elle pas dans le monde, au sein de sa propre famille et des églises elle-même. Avec quelle hypocrisie ses discours et ses pensées n’étaient-ils pas dénaturés » (2). En dépit des obstacles, à force de volonté, l’œuvre des bains de mer de Sète perdure.
A dater de 1890, plus de 15.000 malades y bénéficient de ce qu’on appelle aujourd’hui une « thalassothérapie« , combinant soins et bains de mer. A cette œuvre s’ajoute, en 1856, une Maison de Refuge, à Nîmes, pour femmes en danger. A l’heure du décès de Coraly Hinsch, le 14 juillet 1890, 700 jeunes filles sont passées par cette structure sociale née de ce mouvement de Réveil évangélique jugé « hétérodoxe ». Les hommages francophones affluent, de France mais aussi de Genève (pasteur Roehrich), de Lausanne (Mme Cook), de Neuchâtel (professeur Félix Bovet)… L’histoire n’a pas conservé l’écho des bénéficiaires de la thalassothérapie sétoise…. Un portrait, en revanche, nous est resté de Coraly Hinsch : discrètement glissé dans les premières pages des assemblées générales de l’Eglise évangélique de Sète (publié à Nîmes en 1902), il mérite d’être désormais versé dans l’iconothèque des protestantismes francophones.
Au-delà de son rôle joué dans la démocratisation des bains de mer, beaucoup resterait à découvrir sur le sillage de Coraly Hinsch dans la francophonie.
- Sous l’angle de l’histoire sociale, elle illustre la capacité d’innovation philanthropique de certaines figures européennes du négoce protestant (3) à la croisée de l’Allemagne, de la Suisse et de la France.
- Sous l’angle de l’histoire du genre, elle témoigne d’un sillage charismatique féminin exceptionnel pour l’époque, bousculant les codes en vigueur pour incarner, en tant que femme, l’autorité spirituelle, la prédication, le pastorat et la direction d’œuvre.
- Sous l’angle de l’histoire du protestantisme, elle représente un exemple original de « mysticisme hétérodoxe » (4). Il mériterait d’être revisité par la recherche, à l’aune du renouvellement historiographique impulsé par les travaux actuels sur les recompositions charismatiques du christianisme.
(1) Livret « Témoignage rendu à la mémoire de Mme Armengaud, née Hinsch, fondatrice de l’Eglise évangélique de Cette », Nîmes, 1890, p.9.
(2) Edouard Krüger, Echo des assemblées générales de l’Eglise évangélique de Cette, mour le centenaire de la naissance de Mme Armengaud-Hinsch, Nîmes, 1902, p.46.
(3) Jean-Claude Gaussent, « Les Hanovriens de Sète à la fin du XIXe siècle, négoce et reliigon », BHSPF, oct-déc 1995, p. 575-605
(4) Émile Appolis et Paul Leuillot, « Dans le monde des affaires au XIXe siècle. : Le mysticisme hétérodoxe à Sète », Annales ESC, vol. 12, no 2, 1957, p. 231-242