Au Burkina Faso, l’Office de Développement des Églises Évangéliques (ODE), représentatif de toutes les sensibilités chrétiennes protestantes du pays, brasse aujourd’hui deux milliards de francs CFA pour son budget annuel. Autant de ressources mises à contribution pour financer des projets agricoles, solidaires, et venir en aide aux nombreuses personnes déplacées. Rencontre avec Alain Bako, secrétaire exécutif de l’ODE.

1/ Bonjour Alain Backo, merci de vous présenter

Je m’appelle Alain Backo, je suis ingénieur de développement rural, option élevage de formation. Au Burkina Faso, je suis le secrétaire exécutif de l’Office de Développement des Églises évangéliques (ODE) depuis mars 2022. Je rappelle que l’ODE, fondée en 1972, dépend de la FEME (Fédération des Églises et Missions Évangéliques), notre grande organisation faîtière, est composée de 14 dénominations et de 5 missions, et quand on est à son service, on ne doit pas s’attacher à sa dénomination d’origine mais servir tout le corps de Christ.

2/ En dix ans, quelles sont les principales évolutions de l’ODE ?

Sur le plan budgétaire, la maison a évolué. On était autour d’un milliard de Francs CFA de budget (équivalent de plus d’1,5 millions d’euros de budget, ndlr). Nous avons atteint aujourd’hui deux milliards de budget annuel (équivalent de plus de 3 millions d’euros). L’ODE a décidé de renforcer la mobilisation des ressources locales pour son œuvre.

Nous avons de plus en plus de projets qui génèrent des ressources locales, et je constate que dans les temps de défis que nous vivons au Burkina Faso, l’église intervient de plus en plus fortement pour son œuvre sociale. C’est sur cette dynamique que nous sommes aujourd’hui.

Nous avons un plan stratégique avec huit axes d’intervention. Le premier, c’est un travail sur le renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Puis nous défendons aussi la promotion des activités génératrices de revenus, par l’entreprenariat agricole des petits producteurs; ensuite, nous recherchons à valoriser et encourager la bonne gouvernance. Le renforcement de la résilience des communautés face aux chocs (climatique, sécuritaire), ainsi que l’amélioration des positions sociales des plus plus vulnérables, vont de pair avec l’accompagnement des Églises locales dans la promotion des droits humains. L’axe 7 vise ensuite à l’amélioration de l’autonomie et de la gestion des ressources de l’ODE. Enfin, plus en interne, nous recherchons à améliorer notre gestion des Ressources Humaines.

« L’humanitaire a pris une place très importante dans nos activités »

Le personnel de l’ODE a nettement augmenté ces dix dernières années. Nous sommes aujourd’hui 78 personnes, en tant qu’agents salariés. Nous intervenons sur 12 régions sur les 13 au Burkina Faso où nous avons des actions. L’humanitaire a pris une part très importante dans nos activités actuellement, afin de venir en aide aux populations déplacées par la guerre contre le terrorisme (2). Les circonstances évoluent, mais la mission n’a pas changé, il s’agit toujours de travailler à la restauration de la dignité humaine. En matière de stratégie, nous avons désormais des communautés partenaires entreprenantes, disposant des connaissances, outils et méthodes pour mobiliser des ressources suffisantes pour le développement intégral.

3/ Observez-vous, ou non, une croissance des partenariats sud sud ?

Actuellement, nous avons tissé un lien assez fort avec CREDO, une grande ONG nationale du Burkina, protestante elle-aussi. Elle a été fondée par Moïse Napon. Des sessions trimestrielles de travail et d’échange ont été mises en place pour nous renforcer mutuellement. Nous avons aussi des partenariat avec d’autres organisations comme la West African Regional Alliance, WARA. Nous nous retrouvons régulièrement, entre ONGs chrétiennes du Burkina, du Bénin, du Tchad, de Sierra Leone, avec un de nos partenaires qui lui, est néerlandais. Le SPONG, le secrétariat permanent des ONG du Burkina Faso (créé en 1974), fait partie de ce réseau, assez ouvert. A moyen ou long terme, nous souhaitons développer les relations Sud-Sud, c’est un vrai sujet pour nous.

4/ Qu’en est-il aujourd’hui des relations entre les autorités et l’ODE ?

Les Églises évangéliques, comme les autres dénominations, notamment les catholiques, les musulmans, les autorités coutumières, bénéficient d’une bonne écoute de la part des autorités. Les instances coutumières religieuses sont bien respectées, bien écoutées par le pouvoir, c’est une tradition au Burkina. A cause de leur intégrité, et du fait qu’ils évitent de s’immiscer directement dans les affaires politiques, les responsables religieux sont consultés par les autorités politiques. Comme nous somme le bras social de la FEME (2), nous profitons de cette écoute là pour faire avancer nos projets. Nous ne bénéficions pas d’un traitement de faveur, mais nous jouissons d’une relation très solide. Nous pouvons compter sur beaucoup de considération et de reconnaissance de la part de l’État du Faso. Le président du Faso a même promu l’ODE, ce 4 avril 2025, au grade d’officier de l’Ordre de l’Etalon (équivalent de la Légion d’Honneur, en France, ndlr) . C’est un grand honneur pour l’ODE.

5/ Quel regard portez-vous actuellement sur la francophonie africaine ?

La francophonie africaine vit un temps de crises sociales qui conduisent les gens à rechercher un ancrage spirituel, à chercher Dieu. Le mouvement évangélique francophone a pris beaucoup d’ampleur. Aujourd’hui, beaucoup de cadres supérieurs évangéliques, très engagés dans l’œuvre, se battent aux côtés des pasteurs pour le bien commun. On observe une multiplication des écoles de formation biblique, qui ont donné beaucoup de possibilités.  De nombreux laïcs burkinabés, hommes et femmes,  se forment, s’informent. ll y a  beaucoup plus d’engagement aujourd’hui. On assiste aussi à la naissance et au développement des Églises indépendantes, pas rattachées aux églises de mission. Ces ministères sont dynamiques, décentralisés, francophones, et ils portent du fruit.

« Nos œuvres bénéficient plus aux musulmans qu’aux chrétiens »

6/ Pour conclure, quels sont les principaux défis auxquels l’ODE fait face ?

Le premier défi, c’est l’ancrage au sein de l’Église. Nous voulons un plus fort ancrage. Il faut que l’Église porte son œuvre sociale au Burkina. Cela fait partie de sa mission. Elle le fait déjà, mais elle peut faire davantage. Nous avons commencé à sensibiliser les communautés mais nous pensons qu’il faut l’intensifier.

Un second défi, c’est de poursuivre le développement et l’autonomisation de nos ressources locales. L’autonomie alimentaire est un enjeu stratégique. Depuis 2021-22, l’O.D.E. a ainsi financé, avec une aide allemande, un programme de recherche de trois ans, le Programme d’Appui à la Résilience et à l’Innovation en Agroécologie, à Kourweogo-Nayala (PARI-KN). Il a porté sur les semences locales précoces des variétés de sorgho (3) et du niébé, et a donné de très bons résultats. Il a été apprécié par le gouvernement.

Un troisième défi, c’est la visibilité. Pendant longtemps, nous avons mis en pratique le précepte biblique, « ce que ta main droite fait, ta main gauche ne doit pas le savoir ». Mais cet excès de discrétion peut faire du tort. Le bras social doit quand même être connu. Il ne s’agit pas de se vanter, mais d’informer sur l’œuvre de Dieu au service d’un meilleur bien-être des personnes et des communautés. Internet et les réseaux sociaux ouvrent de grandes opportunités pour des structures comme les nôtres (4). Nos œuvres ne sont pas pour les chrétiens seulement, mais pour tous ! Elles bénéficient même plus aux musulmans qu’aux chrétiens, en proportion. En dehors de la proclamation de l’Évangile, il y a des œuvres qui démontrent l’amour de Dieu pour l’humain, sans distinction aucune, et il est bon que ce soit connu.

(1) Depuis fin 2015, le Burkina Faso est victime d’une offensive djihadiste meurtrière, conduite par l’État Islamique au Sahel et les JNIM (affiliés à Al Qaeda).

(2) La Fédération des Églises et Missions Évangéliques (FEME) du Burkina Faso a été fondée en 1961.

(3) Ces recherches sur les types de semences de sorgho ont été publiées dans une revue scientifique : Clarisse Pulchérie Kondombo,  Pierre Kaboré, et alii, « Assessing yield performance and stability of local sorghum genotypes : A methodological framework combining multi-environment trials and participatory multi-trait evaluation », revue Heliyon, Volume 10, Issue 4, e25114 (18p).

(4) : Portail internet de l’ODE : https://www.ode-burkina.org/