Second volet de l’entretien avec Williane Edel

Williane Edel est l’autrice d’un master de recherche EPHE sous la direction de Patrick Cabanel. Brésilienne, installée en France avec sa famille, elle a développé une connaissance fine des différences culturelles et religieuses entre le Brésil et l’hexagone. Dans ce premier entretien, elle nous présente son parcours et son regard de Brésilienne sur le paysage culturel et protestant français.

Quel est le titre de votre mémoire, et comment l’avez-vous structuré ?

Mon mémoire de master s’intitule : « Calvinisme revivifié et pentecôtisme-réformé : une nouvelle convergence théologique ». Il a été effectué cette année à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes sous la direction de Patrick Cabanel, que je remercie. Dans la première partie de ce mémoire, je remonte dans le temps pour donner de la profondeur au débat contemporain entre option calviniste et option charismatique. Pour cela, j’analyse, à l’époque moderne, l’évolution du calvinisme à travers le débat sotériologique dans les Provinces-Unies, au cœur d’une crise politique et identitaire, et sa migration vers le Royaume-Uni, où il s’est intégré dans de nouveaux cadres. On découvre comment, après une période d’épuisement religieux, ce débat a été relancé dans le contexte de l’affirmation de Wesley et du méthodisme. J’étudie aussi, toujours dans la première partie, l’émergence plus récente du pentecôtisme, marqué par un déplacement de l’intérêt théologique vers la pneumatologie et ses conséquences. Le Saint-Esprit vient au devant de la scène. Dans un second temps, je me suis penchée sur les premières influences du pentecôtisme au sein de l’Église Réformée en France (cas de Louis Dallière, par exemple), ainsi qu’au Brésil, où l’Église presbytérienne a été véritablement fracturée par ce débat autour du pentecôtisme. Ma seconde partie se termine par une analyse du réveil calviniste observé au début du XXIe siècle. Enfin, dans la troisième et dernière partie, j’analyse des exemples de communautés, en France et au Brésil, qui parviennent à concilier les traditions charismatique et pentecôtiste, en ouvrant sur des pistes et hypothèses à poursuivre.

Ne trouvez-vous pas que le calvinisme classique paraît a priori très éloigné du charismatisme ?

Oui, en effet. Ces deux courants, influents dans le protestantisme, ont des compréhensions différentes du texte biblique, car ils appliquent des démarches interprétatives distinctes. Le calvinisme, dès son origine, a systématisé son mode d’interprétation des Écritures, en privilégiant une lecture christologique de la Genèse à l’Apocalypse et s’appuyant sur la méthode historico-grammaticale d’interprétation de la Bible. Il a développé par ailleurs une forme de posture magistérielle, basée sur l’expertise théologique. Le pentecôtisme, quant à lui, adopte souvent une interprétation bien plus littérale et permet au croyant d’appréhender la Bible à partir de sa propre expérience spirituelle. Il a développé une posture plutôt de type prophétique. Ces deux approches, en apparence en tension, se sont révélées capables de rencontre. C’est l’objet de mon mémoire, au travers d’un exemple brésilien et d’un exemple français. On découvre que certaines communautés pentecôtistes sont attirées par les propositions théologiques calvinistes.

La Igreja Cristã Nova Vida est aujourd’hui un fer de lance du (néo) calvinisme charismatique au Brésil. Comment cette Eglise s’est-elle affirmée ?

Depuis 2015, Robert McAlister Jr, évêque primat de l’importante dénomination pentecôtiste brésilienne Igreja Pentecostal Nova Vida, est régulièrement cité comme exemple dans les débats théologiques sur l’introduction du calvinisme au sein des milieux pentecôtistes et charismatiques au Brésil. Cette reconnaissance découle du fait que son réseau d’églises, fondé dans les années 1960 par son père, Robert McAlister, un évangéliste canadien, a connu un tournant majeur. En mai 2008, son église abandonne l’étiquette « Pentecostal » et se fait rebaptiser comme Igreja Cristã Nova Vida. Elle reste cependant à la croisée du pentecôtisme et du calvinisme, mais choisit de nom pour exprimer un nouveau départ. Quelques années plus tard, en 2015, elle publie une nouvelle déclaration de foi intégrant des éléments de la théologie calviniste. Cette Eglise brésilienne importante témoigne de convergences fortes entre calvinisme et pentecôtisme.

Vous avez également découvert des convergences françaises entre calvinisme et courant charismatique. Comment les analysez-vous ?

Mon angle de vue est celui des Eglises issues de l’influence brésilienne en France. J’ai ainsi observé New Ground, qui est une famille d’églises dirigée par Dave Holden, faisant partie du réseau Newfrontiers, fondé dans les années 1980 par Terry Virgo. Ce mouvement valorise l’adaptation aux cultures locales, tout en restant fidèle au message de l’Évangile. Il considère la multiplication des églises comme un moyen crucial pour l’accomplissement de sa mission mondiale. Bien que le site officiel de New Ground mette en avant leur théologie charismatique, il n’y a pas de détails explicites sur leur compréhension sotériologique ni leur attachement à la foi réformée. Néanmoins, étant affilié à Newfrontiers, fondé par Terry Virgo, ce réseau réunit des éléments réformés et charismatiques, participant à l’implantation de centaines d’églises à travers le monde. C’est un lieu de rencontre entre calvinisme et charismatisme.

En France, New Ground est présent avec huit communautés établies et trois nouvelles implantations. Parmi elles figure l’Église Évangélique Confluence à Lyon, dirigée par le pasteur Rémi Gomez. Cette église, fondée il y a dix ans, se décrit comme « une église fondée sur la parole et portée par l’Esprit ». Ses réunions se tiennent dans un espace appelé l’Orangerie, un lieu attrayant et moderne. Depuis deux ans, Rémi Gomez et Nathan Lambert ont lancé un institut de théologie qui allie les courants charismatique et calviniste[1]. La théologie réformée est intégrée dans l’étude de l’herméneutique et de la sotériologie. D’autre part, l’approche charismatique est présentée dans les séances consacrées à la doctrine du Saint-Esprit. Cette convergence originale illustre la créativité théologique du protestantisme évangélique en ce XXIe siècle.

Quels sont vos projets de recherche pour la suite ?

J’aurais beaucoup aimé faire une thèse de doctorat. Je suis motivée et j’ai une volonté de continuer à travailler sur l’histoire contemporaine et la sociologie des évangéliques. Plusieurs terrains m’intéressent, notamment la question des évangéliques et de leur positionnement politique, en particulier face à la gauche et au débat sur le « wokisme ». Je suis ouverte. J’espère pouvoir apporter une contribution pour l’unité. J’ai pu voir dans mon propre parcours, qu’on s’épuise facilement dans les divisions, on peut glisser dans un discours simpliste. Mais où cela nous mène-t-il ? Il me semble qu’il vaut mieux approfondir les questions avant de formuler des réponses toutes prêtes. J’espère obtenir un contrat doctoral afin de m’investir à plein temps dans ces réflexions.

[1] https://formation-itrc.fr/

Lire aussi :