Le décès soudain du pasteur français Carlos Payan, samedi 12 octobre 2024, le jour de Yom Kippour, a plongé le monde protestant et catholique de l’espace francophone dans la stupeur. Homme d’unité et de compassion, fondateur du carrefour charismatique Paris Tout Est Possible (PTEP) en 2003-04, ce soixantenaire plein d’énergie fourmillait de projets. Sans crier gare, une crise cardiaque a interrompu une trajectoire militante marquée, en 1981, par une conversion mémorable. Jeune communiste, huitième enfant d’une famille républicaine espagnole qui a combattu le franquisme, il milite alors pour une cause politique et distribue le journal L’Humanité. Mais voilà : une rencontre avec des chrétiens évangéliques, puis la lecture de l’Évangile, l’ébranle. Transforme sa vision de la vie. Du militantisme communiste, le voilà en quelques mois qui bascule, disait-il, en direction du militantisme chrétien. « De la génération Mitterrand à la génération Jésus ». Cet hyper sensible, bientôt soutenu par son épouse Agnès, combine alors radicalité, dans son engagement, et flexibilité, à l’écoute de l’inspiration. Il construit d’abord sa foi dans un milieu de frères larges. Puis sa route croise peu à peu celle de la Pentecôte. Sa foi s’infléchit, « à l’écoute du Saint-Esprit ». Il rejoint la famille pento-charismatique où la validation passe par l’efficacité de l’Agir divin, via guérison, prophétie, glossolalie et parole de connaissance.

Ne plus tolérer, mais aimer les catholiques

Surmontant une timidité de jeunesse, il se lance dans un ministère atypique, bientôt axé sur la guérison, en parallèle à une belle carrière de fonctionnaire territorial de haut niveau. Carlos Payan n’hésite pas à imposer les mains, prier pour une délivrance, une réconciliation, une guérison physique, à l’écoute des douleurs, nombreuses, qui viennent à lui. Peu à peu, l’homme s’assouplit. La compassion qu’on lui reconnaît lui fait franchir les barrières de classe et les barrières confessionnelles. Aux rivages de la quarantaine, après 10 années passées comme pasteur adjoint dans une église locale à Mâcon (Saône-et-Loire), le voilà qui s’installe en région parisienne. La translation n’est pas simplement spatiale. C’est l’occasion aussi d’un grand pas de côté en direction des frères et sœurs catholiques, auparavant regardés avec circonspection. C’est par la passerelle charismatique que la rencontre se fait. Dans un interview donné à Regardsprotestants en 2017, il expliquait : « le Seigneur me demanda d’aimer les catholiques de la même manière que lui m’aimait, sans condition. J’ai répondu : “tu veux ma mort !”  Oui, la mort à ma suffisance, à mon arrogance, à mon orgueil » (1).

Au tournant du nouveau siècle, le voilà qui s’investit désormais sans restriction dans les milieux catholiques. Il affirme ne plus vouloir les tolérer, mais simplement les aimer. Son authenticité et sa spontanéité font mouche. Que ce soit dans des salons de guérison en milieu familial, ou dans des cathédrales et édifices imposants comme l’église de La Madeleine, à Paris, à deux pas de la Place de la Concorde, les foules affluent. Dont 75% de catholiques. Unité, onction, guérison sont ses mots d’ordre, repris dans un livre éponyme (2). Énergique, chaleureux, spontané, éloquent, non sans gouaille et humour, il s’attire beaucoup de sympathies, mais suscite aussi l’étonnement et la jalousie. En 2006, dans les colonnes du prestigieux quotidien Le Monde, Xavier Ternisien lui consacre une enquête fouillée. Il s’interroge ainsi sur cet étrange « guérisseur évangélique » (sic) qui « laisse venir à lui les accidentés de la vie, les blessés de l’âme ». Est-ce que tout cela est bien catholique ? Qu’importe, Carlos Payan n’est pas de ceux qui tergiversent. Les contacts se nouent, les réseaux s’affermissent, incluant de nombreux religieux catholiques et des pasteurs et laïcs évangéliques, sans distinction d’étiquette. Son centre de gravité, c’est moins un ordinateur cérébral que ces « entrailles de miséricorde » dont il fait un livre, en 2018 (éditions Première Partie). Guérir des souffrances est son cap, même s’il rejettera toujours l’étiquette de guérisseur, pointant du doigt le ciel lorsqu’on lui demandait comment il faisait.

Le réseau Embrase nos cœurs (amorcé dès 1997) et surtout Paris Tout est Possible sont des fruits de sa vocation, parmi d’autres, structurant une nébuleuse charismatique marquée par un œcuménisme pratique, moins soucieux de dogme que de bonne nouvelle, moins préoccupé de rituel que de partage (3). Au fil des années, on le retrouve dans bien des initiatives chrétiennes transversales. Dans le domaine de la musique, il est ainsi présent salle Wagram le 17 octobre 2015, à Paris, au lancement des Angel Music Awards, cérémonie de récompense en faveur de la musique chrétienne en France. Dans le domaine des réseaux sociaux, on le retrouve dans un jury, le 24 mai 2024, aux côtés d’Éric Célérier et de Frère Paul-Adrien, à la « nuit des influenceurs chrétiens » organisée au Collège des Bernardins.

L’humain avant les systèmes doctrinaux

Au fil des années, son double engagement comme fonctionnaire territorial et apôtre d’un renouveau charismatique transversal devient de plus en plus compliqué à combiner. Il lui tarde  de se consacrer pleinement au ministère d’évangélisation et de guérison, de Paris jusqu’à l’île de la Réunion où il se rend durant dix ans. C’est pourquoi il décide de prendre une retraite anticipée en juin 2017, convaincu que dans le domaine des âmes, « la France a besoin de plus de missionnaires que de fonctionnaires ». Au pas de charge, en cette année commémorative 2017 qui célèbre aussi les 500 ans de la Réforme, il multiplie les initiatives et les participations aux rassemblements interchrétiens. A l’image de son ami Éric Célérier, il désigne la francophonie comme un horizon missionnaire. Le 3 juin 2017, il participe ainsi à la vigile de Pentecôte, à Rome, sur la grande scène dressée, aux côtés du pape François. Il rejoint aussi d’autres réseaux, dont l’AIMG, Association Internationale des Ministères de Guérison, portée entre autres par le pasteur suisse Jean-Luc Trachsel. Avec son ami Guy Lepoutre, jésuite à Paray-le-Monial, il continue par ailleurs à prôner une unité sans uniformité basée sur la « communion du Saint-Esprit ». Au magazine Aleteia, en , il déclare, en 2018 : « je dois vous l’avouer, quand on a gouté à l’unité on ne veut pas revenir en arrière. On s’aperçoit qu’on est de la même famille ».  Ce bon vivant avait aussi ses failles, ses blessures. Les errements constatés, notamment dans le milieu évangélique, et parfois les dérives sectaires, les condamnations et les cultures de l’exclusion, le préoccupaient, tout comme, disait-il, le « manque d’amour, qui trahit le Christ ». Passé lui-même par une grave maladie, il avait aussi appris à se méfier des rhétoriques de guérison en kit qui font fi de la complexité du vécu. Guetté parfois par le surmenage, il compensait sa vulnérabilité et sa fatigue par sa capacité performative à réaffirmer en toute circonstance les promesses divines.  Attentif à celles et ceux qu’on ne remarque pas, ouvert à la collaboration sans se préoccuper des étiquettes de ses interlocuteurs, il était de celles et ceux qui soutinrent le lancement de la série « The Chosen » de Dallas Jenkins, diffusée en France depuis décembre 2017 grâce aux efforts, entre autres, de Hubert de Torcy (Saje distribution). Une saga vidéo qui dépoussière les récits évangéliques en donnant à Jésus et aux personnages du Nouveau Testament une épaisseur humaine singulière. On l’a retrouvé aussi, ces dernières années, au cœur de dispositifs d’aide humanitaire chrétienne (médicaments et nourriture) en direction des populations du Liban.

Last but not least, il avait aussi tendu la main, et plus que cela, vers les Églises postcoloniales portées par les vagues de réveil venues d’Afrique francophone, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Plaçant l’humain avant les systèmes doctrinaux ou institutionnels, il avait gardé une curiosité intacte pour la rencontre et les profils atypiques. Fer de lance d’un œcuménisme pratique axé sur la guérison multidimensionnelle, acteur d’une revalorisation chrétienne du corps et des émotions (4), praticien d’une évangélisation 3.0 qui n’a pas peur des réseaux sociaux, sa disparition brutale a suscité une onde de choc. Celui qu’on appelait le « dérangeur de Dieu » laisse derrière lui un héritage à la fois fort et fragile, en un temps où la repolarisation des appartenances transforme en cibles les faiseurs d’unité.

(1) « Cinq questions à Carlos Payan, missionnaire francophone », Fil-info Francophonie, Regardsprotestants, 3 août 2017

(2) Carlos Payan (avec préface de Mgr Gérard Daucourt), Unité, onction, guérison, Paris, Première Partie, 2008

(3) Voir « Renouveau charismatique parisien et redéfinition des frontières », Esprit et Vie (Lien ici pour le PDF de l’article)

(4) On lui doit notamment ce livre, tout juste sorti : Carlos Payan (dir.), Nos corps, son temple, Paris, ed. Première Partie, 2024