Portrait n°11 de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».
« La révolution et la libération des femmes vont de pair » déclarait le révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara dans un discours publié à titre posthume [1]. De fait, l’affirmation des femmes sur la scène politique postcoloniale en Afrique s’est accentuée depuis les années 1980. « Ça bouge ! » En 2005, la méthodiste Ellen Johnson Sirleaf devenait la première femme présidente élue à la tête d’un Etat africain (le Libéria). Lors des élections présidentielles, des femmes osent désormais se présenter, comme au Gabon où une prophétesse s’est portée candidate en 2009.
Avec la militante des Droits de l’homme Yvette Ngwevilo Rekangalt et la politicienne et ancienne ministre Victoire Lasseni Duboze, Anna Claudine Ayo Assayi est une pionnière. Yvette, Victoire et Anna Claudine sont les trois premières femmes de l’histoire du Gabon à s’être mises sur les rangs lors d’une élection présidentielle. Anna Claudine n’a pas un instant menacé les principaux prétendants à la victoire, à commencer par Ali Bongo, confortablement élu au bout du compte. Mais les médias ont relayé sa verve et ses exhortations : la prophétesse Anna Claudine Ayo a défrayé la chronique politique. Un succès à l’actif de cette femme de tempérament, habituée à l’adversité, qui a marqué les imaginations par son audace et sa parole tranchante. Comment comprendre un tel parcours ?
Candidate pionnière (2009) et figure des Eglises de Réveil
Anna Claudine Ayo Assayi est née dans un pays dont le paysage socioreligieux, étudié par le chercheur Joseph Tonda, a été profondément renouvelé depuis quarante ans par l’essor des églises de Réveil. Expression d’une souffrance populaire et d’une dérégulation du champ religieux, ces Eglises sont axées sur le prophétisme, la conversion, le combat spirituel et la guérison. Elles font souvent l’objet de controverses, liées aux dérives sectaires que l’on peut observer en leur sein : excès d’autorité, dérapages de la lutte anti-sorcellaire, escroqueries financières, abus de faiblesse, les dossiers abondent. Tout comme se pose la question de leur instrumentalisation par les pouvoirs en place (ou les oppositions). Mais tout comme l’Eglise catholique ne saurait se réduire aux scandales pédophiles qui entachent sa réputation, les Eglises de Réveil ne se réduisent pas non plus aux dérapages bien réels qui émaillent leur histoire récente. Car si ces Eglises en cours de structuration attirent, notamment au Gabon, c’est qu’elles passent aussi pour des Eglises de la « seconde chance », axées sur l’efficacité thérapeutique d’un Dieu qui soulage et libère. Le parcours de Claudine Ayo en est un témoignage.
Née dans le quartier Lalala de Libreville (Gabon) le 12 avril 1969, issue d’une grande famille aisée dont la mère est députée, elle commence ses études à Libreville avant de s’envoler pour la France en 1980 où elle poursuit sa formation en tant qu’interne. Bachelière, elle obtient ensuite un BTS puis se spécialise en administration des entreprises. Elle se forme pour cela aux Etats-Unis (Washington DC) où elle décroche une maîtrise puis un master. Lorsqu’elle rentre au Gabon, elle s’investit en tant qu’administratrice financière tout en développant en parallèle des responsabilités dans le milieu pentecôtiste gabonais.
Convertie, Claudine Ayo revendique sa « nouvelle naissance ». Avec une foi à déplacer les montagnes, mais aussi un robuste pragmatique et une expertise financière mise au service de l’essor des réseaux des Eglises de Réveil. Passée par l’épreuve du divorce, avec le stigmate social que cela représente, elle n’a pas connu un parcours de conte de fée. Mère de cinq enfants, la route est délicate, d’autant que le milieu évangélique n’est que peu compréhensif face à une rupture de couple présentée comme un péché. Le milieu sociochrétien des Eglises de Réveil au Gabon va contribuer à relancer sa trajectoire, avec un double accent sur la guérison et la seconde chance. Fondatrice d’une Eglise locale en 1999, à l’origine de plusieurs oeuvres sociales, elle s’impose peu à peu comme une des voix qui comptent au sein des Eglises de Réveil du Gabon, jusqu’à oser l’impensable: briguer la présidence de la République à l’occasion des élections historiques de 2009 !
Le système des cinq « S » au Gabon
Elle conduit alors le Centre Chrétien de la Victoire, et est responsable de l’Eglise de Réveil « Ministère des Prophètes des Nations » (Libreville). Prédicatrice, pasteure, prophétesse, elle se signale lors de la campagne électorale gabonaise par des propos très directs, axés sur la moralisation de la vie politique, l’exorcisme et le combat spirituel. Mais elle témoigne aussi d’un franc-parler dans le domaine économique et commercial, fondé sur une expertise consolidée par sa formation. Dans un ouvrage consacré aux femmes de pouvoir au Gabon, Janis Otsiemi rapporte ainsi que « la prophétesse Claudine Anna Ayo Ayassi a donné la mesure de son talent d’oratrice à l’émission « Débat » le 25 août 2009. Nullement impressionnée par le panel des journalistes triés sur le volet, elle s’est prêtée gaiement au jeu du « Questions-réponses ».
Rayonnante de beauté comme une elfe échappée d’un roman de Barbara Cartland (sic), elle a égrené le chapelet de son projet de société en insistant sur la nécessité de mettre en place une société nationale des Pétroles pour améliorer la répartition de la manne pétrolière aux Gabonais, ou encore l’allègement des procédures d’obtention des titres fonciers ». Créer une société nationale des pétroles au Gabon ? Pas si farfelu ! Janis Otsiemi ne peut s’empêcher de conclure sur un mode moqueur : « On l’aurait crue dans une église chassant les mauvais esprits » [2]… Il est vrai que Claudine dénonce volontiers l’emprise de Satan et de ses démons, l’œuvre occulte des réseaux d’influence gangrénés par la cupidité et le sang. Délire mystique ? Mais à y regarder de plus près, la prophétesse a contribué à bouger les lignes, sans s’embarrasser de langue de bois. Sa cible ne paraît pas si éloignée de ce « système des cinq S » décrit par Joseph Tonda comme fondement du pouvoir au Gabon (Sectes, Sang, Sexe, Sous, Succès) [3]. Claudine Ayo, Bible en main et verbe haut, entend exorciser et moraliser le champ politique d’influences jugées délétères, quitte à choquer par des références spiritualisantes pugnaces, dont les journalistes ont beau jeu de se gausser.
Une fois Ali Bongo élu, la candidate recalée se fera bien plus discrète sur la scène politique, se focalisant sur les réseaux gabonais des Eglises de Réveil. Mais on la retrouve notamment au début de l’année 2015. Au nom des Eglises de Réveil du Gabon, elle appelle alors publiquement, devant les médias du pays, à trois jours de jeûne national, de prière et de « repentance nationale » pour contrecarrer les « manifestations diaboliques » qui font souffrir le peuple gabonais.
[1] Thomas Sankara, L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique (composé de deux discours), Pathfinder Press, 2008 (réed).
[2] Janis Otsiemi, Femmes de pouvoir du Gabon, ed. MPE, 2010, p.63.
[3] Joseph Tonda, Le souverain moderne, le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005.