L’ouvrage s’intitule Dans la contradiction, Exister… (Espoir Éditions, 2019, 140p). La pandémie Covid19 n’a pas permis de lui donner l’écho qu’il méritait. Mais l’avantage des bons livres est qu’ils sont indémodables ! Compte-rendu.

Le livre signé par le président-fondateur de la CEAF se subdivise en trois parties. Le premier volet rassemble des textes dits « fondamentaux », qui retracent l’émergence et l’histoire de la CEAF. La seconde série met à disposition le script des interventions du pasteur Bulangalire à l’occasion des assemblées générales de la CEAF. Enfin, une sélection de prédication clôt l’ouvrage, en « fenêtre ouverte sur la théologie de la CEAF » (p.7).

L’introduction, très synthétique, donne tout de suite le ton. Elle dresse des perspectives, sous le signe du défi et de la mise en musique de la diversité, transcendant les contradictions. Cinq espaces de tension créative sont identifiés. Le premier se déploie entre intellectualisation desséchante et théologie de la prospérité comprise comme exaltation de la seule réussite matérielle. Avec pour cap, un Évangile mis en pratique. Le second plaide pour une dynamique de foi conciliant bénédiction et dépouillement, au service de l’être-humain. Le troisième se focalise sur un devoir de résistance spirituelle via la Croix et le Christ, refusant compromis et abandons. Le quatrième pointe l’équilibre à maintenir entre éthique évangélique assumée, de type conservatrice, et spiritualité charismatique, « ouverte à la liberté qu’offre l’Esprit Saint » (p.6). Le cinquième lieu pose plus précisément l’enjeu de la liberté, le tout visant à construire, « par et dans le Christ », une fraternité solidaire et participative ». Ces axes transversaux se retrouvent ensuite au fil des trois chapitres.

« Réappropriation des droits et des espoirs » (Vaclav Havel)

Le chapitre 1, intitulé « De l’histoire profonde de la CEAF » (p.9 à 74) propose des textes très riches en réflexions et en informations, à verser au dossier des recompositions du christianisme contemporain en France. Historiens et chercheurs en tireront grand profit. Ces documents réflexifs signés Majagira Bulangalire scandent l’histoire des Églises de la CEAF au long de trois décennies. Dans un discours prononcé lors du 15e anniversaire de la CEAF, l’auteur cite Vaclav Havel, qui prône de « viser une réappropriation des droits et des espoirs dont l’exil prive brutalement ». Il développe, avec une audace prophétique, le dépassement du clivage entre exilés et autochtones au nom du sens d’une appartenance commune à une diaspora spirituelle, celle du peuple de Dieu : « c’est dans la rencontre de l’étrangeté des immigrés venus d’ailleurs avec celle des autochtones, eux-mêmes étrangers sur terre, que se constituera la véritable diaspora chrétienne sous le regard de Dieu » (p.17). Dans un texte de 2008, il réfléchit ensuite sur ce qu’est l’Église du XXIe siècle, prônant la capacité à s’adapter sans trahir, et donnant l’exemple d’Impact Centre Chrétien (ICC), en croissance rapide. Le troisième texte du chapitre 1 revient sur les liens entre mission, immigration, spiritualité africaine, en posant notamment cette question : « l’émergence des Églises d’immigration, conséquence d’un accueil non préparé ? » (p.45).

Le quatrième texte reprend des propos exposés lors d’une table ronde à la Faculté de Théologie protestante, en 2006. Majagira Bulangalire pointe notamment « la contradiction entre les différentes politiques de l’immigration et les valeurs républicaines » (p.55), et invite à un décentrement nécessaire : il ne suffit pas de se demander si les valeurs républicaines sont bien assimilées par les immigrés de France. Il convient aussi de s’interroger sur l’assimilation des valeurs républicaines par la République elle-même ! Les immigrés, ou descendants d’immigrés, qui connaissent souvent mieux qu’on ne le pense les dîtes valeurs et principes, peuvent à bon droit s’étonner, parfois, du manque de mise en application juste et concrète de ces valeurs par la société française dans l’accueil réservé aux immigrés, mais aussi à leurs descendants.

Le cinquième texte du chapitre s’interroge sur la dimension multiculturelle des Églises. Présenté lors d’une table ronde à la Faculté Libre de Théologie Évangélique (FLTE) de Vaux-sur-Seine, il prône une « ecclésiologie plus ouverte et plus accueillante », qui gare le cap d’une « réponse spirituelle face aux angoisses nées ou créées par une société de plus en plus matérialiste » (p.64). Dans le dernier texte de cette première partie, l’auteur réfléchit sur « l’intégration de la CEAF dans le paysage protestant français et les perspectives d’avenir ». Présenté à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne, il revient sur l’ancrage dans la Réforme protestante, l’ouverture à l’héritage huguenot, et les raisons qui ont conduit à intégrer la Fédération Protestante de France (FPF). Autant d’éléments qui ont fait aussi de la CEAF « un partenaire incontournable, tant par l’État que par les protestants en ce qui concerne les questions d’intégration » (p.70).

Cesser de « jouer aux outsiders »

Le chapitre 2 s’intitule « Les mots du président, une plongée dans le quotidien » de la CEAF (p.75 à 118). Il reprend les interventions faites lors des assemblées générales de la CEAF et illustre la tension, exposée en introduction, entre éthique évangélique et spiritualité charismatique. La tonalité de ces textes vivants, franche et directe, témoigne d’un art oratoire consommé et d’un grand sens de la pédagogie, soulignant par exemple la dimension nécessairement méta-ethnique des églises : « La CEAF est une union d’églises de France. Elle n’est pas un regroupement des églises africaines. Y-a-t-il en chrétienté une église qui serait africaine ? Toutes les églises sont de Christ » (p.77). Une mine d’information est mise à disposition au fil des textes. L’espace manque ici pour extraire toutes les pépites, comme cette exhortation à « se mettre à jour, profiter des formations proposées et partager des expériences extraordinaires », pour grandir dans les prises de responsabilités et assumer les « exigences de la liberté et de l’indépendance » (p.82-83).

La défense d’un modèle d’autorité basé sur le service, l’appel à cesser de « jouer aux outsiders » (p.91), le refus d’une « sagesse qui exclut Dieu » (p.98), le plaidoyer pour une définition hétéronormative du couple, l’encouragement à l’accès à la propriété, via la Fondation individualisée CEAF (p.104 et suivantes), scandent, entre autres exhortations, un parcours sous le signe de « progrès visibles et perfectibles » (p.109-117).

Enfin, la troisième et dernière partie, plus courte (p. 119-132) offre aux lectrices et aux lecteurs « des prédications pour vivre ». Elles déploient une spiritualité incarnée dont les accents vibrent, en conclusion, sur un appel à l’humilité, la responsabilité et la vigilance, au nom du Soli Deo Gloria des réformateurs (à Dieu seul soit la gloire).