A Pâques 2019, d’effroyables attentats islamistes frappaient le Stri Lanka. Au travers de l’église évangélique tamoule de Sion, l’une des assemblées visées, le grand public a découvert à cette occasion l’existence d’un protestantisme évangélique tamoul très vivace… Et pas seulement au Sri Lanka. Premier zoom sur sa présence en France.

La population tamoule totale équivaut, numériquement, à celle de la population française. Mais qui la connaît ? Répartie entre l’Etat du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, et le Sri Lanka, elle se déploie dans un vaste territoire circulatoire diasporique, dont la France. Concentrée en majorité en région parisienne, elle s’inscrit parfois dans de véritables ethno-territoires, comme le quartier de La Chapelle, près de la Gare du Nord[1]. Mais bien souvent, elle paraît invisible, tant par sa discrétion que par sa dissémination.

Tous les Tamouls ne sont pas hindous

Arrivées assez récemment en France, d’abord d’Inde du Sud (depuis les années 1950) ensuite du Sri Lanka (surtout depuis la fin des années 1970), ces populations tamoules passent pour cultiver l’entre-soi, à l’abri des projecteurs. Pourtant, elles savent aussi s’affirmer et « donner à voir » leur identité[2], et pas seulement à l’occasion du défilé annuel de Ganesh, divinité indienne à corps d’éléphant. Elles s’ouvrent aussi, à des degrés divers, à la francophonie, en jouant souvent sur une dextérité trilingue combinant langue tamoule, anglais et français. Elles sont marquées aussi par un phénomène de diversification religieuse : tous les tamouls ne sont pas hindous ! Le protestantisme évangélique constitue l’une des matrices communautaires à partir desquelles, aujourd’hui, les tamouls vivent leur identité en France. De nombreuses affiches placardées en région parisienne lors d’événements évangéliques tamouls, particulièrement dans le département de Seine-Saint-Denis, ouvrent une lucarne sur un monde social ignoré, et pourtant riche en interactions.

Evangélisme tamoul : depuis les piétistes au Tranquebar (1706)

Cette présence protestante évangélique tamoule en France s’inscrit dans le contexte de l’impact protestant sur l’Inde du Sud et Ceylan. Après 1613, lorsque la Compagnie des Indes Orientales créée par les Hollandais ouvre un poste à Pulicat, à 30 miles au Nord de Madras, une première influence protestante réformée se diffuse. Mais c’est surtout à partir de 1706 qu’un fragile premier protestantisme tamoul, de tendance évangélique, se développe, sous l’influence de missionnaires piétistes installés dans la colonie danoise de Tranquebar, à Tanjore[3]. Il faut cependant attendre le début du XXe siècle pour que s’affirme, en tension avec les Eglises coloniales (catholique et protestante), un protestantisme puissamment endogène, par et pour les Tamouls.

Il est souvent pentecôtisant, axés sur l’efficacité du Saint-Esprit et la dimension pratique de la foi, proposant des cultes expressifs où la délivrance, la danse, et même le théâtre pédagogique, trouvent leur place. Il va s’épanouir à la décolonisation dans de multiples réseaux pentecôtistes, charismatiques, prophétiques[4]. Au contact des besoins des fidèles, portés par des « évangélistes aux pieds nus » issus des communautés auxquels ils s’adressent, ces réseaux protestants évangéliques tamouls gagnent peu à peu des centaines de milliers de fidèles. Des dizaines d’unions d’églises et de dénominations tamoules se créent. Florissants aujourd’hui, ces réseaux sont axés sur un christianisme trinitaire de conversion, bibliciste et communautaire, ancré dans des assemblées zélées et prosélytes, où la relation avec Dieu se vit comme un salut extramondain et intramondain : Bible, conversion à Jésus, guérisons, miracles, délivrance, restauration de la confiance, ascension sociale hors des trappes de pauvreté… : voilà le menu, semaine après semaine, des prédications pentecôtistes tamoules.

[1] Voir Anthony Goreau, La diaspora tamoule : trajectoires spatio-temporelles et inscriptions territoriales en Île-de-France, thèse de Doctorat en Géographie humaine, Bordeaux, Université de Bordeaux, 2005.

[2] Aude Mary, En territoire tamoul à Paris. Un quartier ethnique au métro La Chapelle, Autrement, 2008.

[3] D. Dennis Hudson, Protestant Origins in India, Tamil Evangelical Christians, 1706-1835, Routledge, 2000.

[4] Michael Bergunder, The South Indian Pentecostal Movement in the Twentieth Century, Eerdmans, 2008.