5e volet de notre série sur le Brésil.
C’est en particulier le cas du spectaculaire ensemble de bronze édifié devant la cathédrale presbytérienne de Rio de Janeiro, qui commémore la première implantation réformée sur le sol brésilien, à l’époque de la première francophonie protestante (XVIe siècle).
Ces statues à vocation mémorielle et pédagogique figurent la première Cène protestante jamais tenue au Brésil, le 10 avril 1557. Deux ans plus tôt, la première division navale, conduite par le vice-amiral Nicolas Durand de Villegagnon, étaient partie du port du Havre pour coloniser le Brésil au nom de la France[1]. L’entreprise, nourrie par des renforts embarqués de Honfleur, comprenait bien des protestants, dont deux pasteurs réformés calvinistes, Pierre Richer et Guillaume Chartier. Ce sont eux qui célébrèrent, le 10 avril 1557, cette première Cène protestante brésilienne, à la manière de Genève. L’expérience de colonisation tourna court, et cette proto-présence protestante en baie de Rio s’est éteinte[2]. Mais la mémoire en a conservé la marque.
D’autant que les Églises issues de la Réforme, longtemps discrètes, rassemblent aujourd’hui plus du quart des chrétiens du Brésil. Elles restent en forte expansion, surtout dans leur composante évangélique et pentecôtiste. Ce monument de Rio entend affirmer la profondeur historique du protestantisme sud-américain, à peu près contemporain du catholicisme en cette circonstance. L’ensemble, en bronze, se dresse devant la cathédrale de l’Igreja Presbiteriana do Brazil (IPB), Eglise Presbytérienne du Brésil, fondée à Rio en 1859. La cathédrale elle-même, inaugurée en 1874, a été reconstruite en 1940 en style néo-gothique sous la direction de l’architecte Ascanio Viana. L’ensemble statuaire proprement dit, dressé non loin du parvis de la cathédrale, se compose de plusieurs éléments. Il représente en particulier une table de communion en bronze, sur laquelle sont posés Bible, coupe de communion et cruche. Deux pasteurs barbus grandeur nature, souriants et expressifs, en toge de ministre réformé, se tiennent debout devant la table, face aux fidèles. L’un tient le pain de communion rompu, prêt à être consommé. L’autre ouvre les bras dans une attitude d’accueil et d’ouverture. Devant la table figure une inscription en lettres blanches, sur fond noir : « Em memoria de mim » (« En mémoire de moi », parole attribuée à Jésus lors de la première Cène). Face aux pasteurs, dans une attitude d’écoute, Bible ouverte, six fidèles de différents âges, hommes et femmes, sont assis sur des bancs, symbolisant une congrégation protestante aux allures sans doute fort éloignée de l’expérience de la première Cène française de 1557. L’objectif est autre : faire mémoire, et fixer dans le bronze l’identité protestante réformée qu’on veut promouvoir.
Cet ensemble statuaire a été inauguré en 2003, dans le cadre d’un vaste programme de rénovation et de restauration, avec l’aide de la mairie (César Maia). Son auteur est le plasticien Joas Pereira dos Passos, lui-même de confession presbytérienne. Un témoignage spectaculaire, aujourd’hui régulièrement visité et photographié, du lien précoce entre Réforme française et terre brésilienne.
[1] Jean-Yves Carluer, « 1557 : la première Cène protestante d’Amérique se prépare au Havre… », in Collectif, 500 ans de protestantisme, 500 ans du Havre, catalogue d’exposition 2017, p.36
[2] Mickaël Augeron, « Célébrer les Martyrs de la Guanabara : Rio de Janeiro, lieu de mémoire pour les communautés presbytériennes du Brésil », Mickaël Augeron, Didier Poton, Bertrand Van Ruymbeke, dir., Les huguenots et l’Atlantique, vol. II , Paris, Les Indes savantes, 2012, p. 405-419