Une soirée particulière alors que les comptes-rendus du procès des attentats du 13 novembre 2015 sont sur tous les écrans (1). L’occasion de revenir sur l’itinéraire de New Gospel Family, créé il y a 20 ans, avec son fondateur et chef de chœur, Edgard Vandenbroucque. 

Edgard Vandenbroucque, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis né au Havre, en Normandie, d’une famille de quatre frères. J’étais le dernier, dans une famille évangélique tranquille. J’ai grandi au Havre durant dix ans, puis j’ai déménagé en région parisienne. C’est là que je me suis orienté vers des études d’ingénieur en informatique, tout en commençant, à l’âge de 18 ans, à diriger des chorales. Cette passion pour la musique m’a amené à fonder, avec d’autres, Master Music en octobre 1990, qui produit notamment New Gospel Family. Depuis, Master Music a produit plus de 2000 concerts dans toute la France, et 1215 en ce qui concerne New Gospel Family (2).

La chorale New Gospel Family fête ses 20 ans. Quelles évolutions majeures avez-vous constaté depuis ce début de XXIe siècle ?

New Gospel Family est né à la croisée de l’amour pour la musique chantée, et d’un désir de partager la bonne nouvelle de l’Evangile. L’idée était de proposer quelque chose qui plaise à l’oreille, mais qui puisse aussi atteindre tout le monde sur un plan spirituel. C’est dans cet objectif que nous avons mis en place notre chorale. J’étais basé alors en région parisienne, à Rungis. C’est toujours le cas. Quand on a commencé en 2001, le Gospel était déjà bien connu en France, mais on ne peut pas dire que les chorales étaient si répandues que ça. On était un peu précurseurs ! Au départ, on voulait partager pour des publics francophones du Gospel urbain, ce Gospel qui vient, par exemple, de Kirk Franklin, ce genre de musique. Nous avons pas mal évolué en 20 ans, y compris sur le plan technique. Quand on a commencé à chanter, on chantait assez mal, tous, on n’avait pas tous la culture Gospel comme aux Etats-Unis, mais on a progressé énormément. Maintenant, en 2021, je dirais que notre chorale, composée de francophones, chante l’équivalent du niveau vocal américain d’il y a vingt ans. C’est déjà beaucoup ! Mais on peut encore progresser car entre temps, les Américains ont élevé le niveau aussi en matière de travail sur la capacité vocale, sur la technique, la précision.

Après, d’un point de vue commercial, il y a 20 ans, on pouvait parler de bénévolat assez facilement, maintenant c’est plus compliqué. Notre principe de base reste des choristes bénévoles. Nous refusons, en revanche, de faire payer les choristes. Il faut le savoir, dans certaines chorales, les choristes paient pour avoir le droit d’en faire partie. 200, 300 euros l’année. Nous il n’en est pas question. En matière d’infrastructures, de services, d’accompagnement technique, tout se paye aussi désormais. C’est l’évolution. C’est normal, le monde est plus dur, les gens ont besoin d’argent.

« Il y a moins la volonté de converger »

En matière de circuit, de réseau, de public, les choses ont évolué aussi entre 2001 et 2021. Au départ, nous travaillions souvent avec des chrétiens. Maintenant, beaucoup moins. Il fut un temps où les évangéliques savaient se rassembler, mutualiser, s’ouvrir. Je me souviens de la campagne Billy Graham, en 1986…. Aujourd’hui, c’est un peu chacun pour soi, il y a moins de volonté de converger. Chaque Eglise fait sa propre cuisine interne, promeut son groupe de louange, sa marque, voire son école… Pour les atteindre, il faut rentrer dans leur moule, ou alors on n’existe pas. Avec une exception : nous avons la chance d’être partenaires de TopChrétien, c’est une plateforme utile qui fait du bon travail et cherche à faire connaître les talents et les ministères. Nous sommes heureux de travailler avec eux. Sinon, nous apprécions de travailler avec les catholiques, les municipalités, centres culturels, salles de spectacle comme le Bataclan, où nous nous sommes produits ce 25 septembre 2021… C’était évidemment un moment fort.

Votre chorale émane de toute la francophonie. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Tous nos choristes parlent français et viennent de la francophonie ; Caraïbes, Afrique de l’Ouest, Europe… La couleur francophone n’a pas trop changé en 20 ans. Les proportions entre nationalités varient un peu au niveau des choristes. Il y a des époques où il y a tantôt plus de Centrafricains, ou de Malgaches, ou de Guadeloupéens… Au début, notre chorale avait plus de Blancs en son sein. Aujourd’hui, la proportion de Noirs a augmenté. Notre critère n’est pas la couleur de peau, mais l’exigence de qualité musicale, qui a augmenté avec le temps. Quant à nos répertoires, ils sont en majorité en anglais, avec l’inspiration Kirk Franklin, mais aussi une couleur sud-africaine (Soweto Gospel Choir) ; mais on chante aussi quelques chants Gospel en français.

Une hypothèse développée dans « Gospel et francophonie » est que la musique Gospel a une dimension restaurative, à l’image de la justice restaurative. Elle ne nie pas le mal, mais ouvre sur la restauration. Qu’en pensez-vous, au travers des réactions du public ?

Les expressions émotionnelles du public sont fréquentes, on sent que l’écoute de la musique Gospel permet de relâcher la pression, de libérer. Le public aime ! Il ne comprend pas toujours ce qui lui arrive lors des concerts. On le voit depuis la scène, surtout les trois premiers rangs. Les gens sont scotchés, pris par la musique. Les sourires, les pleurs aussi, ne sont pas rares. Oui, il y a une dimension thérapeutique, ou restaurative, mais je voudrais souligner qu’elle joue aussi pour les choristes. Quand tu vois les choristes chanter, le sourire est lâché, le geste aussi, l’âme est relâchée. Les contenus Gospel, axés sur le pardon et la libération, impactent celles et ceux qui chantent, et derrière le rideau, durant les semaines que nous passons à répéter, des choses se passent. Le concert n’est pas juste une performance. Il traduit des cheminements, donne voix à des délivrances, à une nouvelle paix intérieure. Dans le public, mais aussi pour les choristes.

« Covid19 : le gouvernement a été très généreux »

La pandémie Covid19 a frappé la communauté de la musique Gospel, qui dépend, pour vivre, de la possibilité des concerts. Quelles leçons en tirez-vous ?

Au début c’était la douche froide, on ne comprend pas. Mi-mars 2020, nous avons dû annuler un concert à Avallon à cause du début du confinement. Dans la même ville, nous avions dû annuler un concert fin 2015 à cause des attentats du 13 novembre… Au départ, on se dit que ça va durer 3 mois. Et puis, on doit réannuler, reporter, défaire, refaire. C’était très compliqué au niveau de l’équipe. Entre autres, on a dû annuler des recrutements. Mais je tiens à dire que le gouvernement a été très généreux avec les artistes et les producteurs, et sur le plan économique, nous avons été largement épargnés. En France, l’Etat a vraiment été d’un grand soutien, il faut le souligner, notamment avec l’année blanche (prolongée) accordée aux intermittents. Nous ne pouvons pas nous plaindre ! Mais grand soulagement quand même, cet été 2021, de pouvoir recommencer enfin une petite tournée de concerts de 7 jours. Puis ce concert du Bataclan. Quelle joie d’y retrouver le public !

(1) Le procès des attentats du 13 novembre 2015 a commencé le mercredi 8 septembre 2021 à Paris. Il doit durer neuf mois. Lors de l’attaque terroriste, 90 personnes avaient été tuées parmi le public du Bataclan, et des centaines de personnes blessées.

(2) Voir le site internet de la New Gospel Family : https://www.newgospelfamily.com/