Troisième épisode de notre série « ICC, 20 ans, et après ? La fabrique d’une rechristianisation postcoloniale » (3/4)

Modestine Castanou, pasteure et casque sur la tête, inspectrice de chantier ? L’image est parue en 2021 dans un reportage du magazine chrétien OnEstEnsemble (n°2), consacré aux femmes. Elle illustre la nouvelle étape de l’histoire d’Impact Centre Chrétien (ICC), en route vers son nouveau site d’implantation, l’Autel royal. 

L’Eglise francilienne Impact Centre Chrétien (ICC), qui fête ses vingt ans d’existence en 2022, s’inscrit aujourd’hui dans deux tendances. D’une part, une dynamique de rechristianisation postcoloniale, portée par les territoires circulatoires de la francophonie. D’autre part, le mouvement des megachurches, ou méga-Eglises. Ces Eglises de taille inhabituelle rassemblent en un même lieu au moins 2000 fidèles sur un, deux ou trois cultes dans le week-end. Elles proposent aussi une multi-activité. Ces assemblées chrétiennes sont en croissance régulière en Afrique, en Asie, en Océanie et en Europe.

ICC, bientôt le plus vaste campus évangélique de l’hexagone ?

La France ne fait pas exception. Rattachées au protestantisme évangélique, les Eglises taille XXL constituent aujourd’hui de véritables locomotives de la francophonie chrétienne. Plusieurs inaugurations, ces dernières années, ont illustré leur popularité croissante.  En mai 2015, c’est la megachurch de la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse (POC), dans le Haut-Rhin, qui inaugurait ses nouveaux locaux agrandis, à Bourtzviller, avec une capacité d’accueil totale portée à plus de 3000 personnes.

C’est ensuite la megachurch MLK, conduite par le pasteur Ivan Carluer, qui inaugurait officiellement l’espace Martin Luther King à Créteil (Val-de-Marne), le 11 septembre 2021. Deux autres méga-Eglises, parmi les plus emblématiques aujourd’hui des renouvellements chrétiens en France, se préparent à franchir le pas de l’agrandissement : il s’agit de Paris Centre Chrétien, une Eglise basée à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), conduite par la pasteure Dorothée Rajiah, et d’Impact Centre Chrétien (ICC), conduite par Yvan et Modestine Castanou.

Cette dernière n’est pas loin d’aboutir dans son projet. Elle s’annonce comme la prochaine sur la liste des « crémaillères XXL » qui scandent, depuis quelques années, l’inscription des mega-Eglises dans le paysage chrétien du XXIe siècle. Non sans viser très haut : le chantier, en cours de réalisation, promet d’offrir aux fidèles le plus vaste campus évangélique de l’hexagone.

A l’étroit dans ses locaux de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne) après 20 ans de croissance (voir articles 1/4 et 2/4 de cette série), l’Eglise ICC a lancé la réflexion pour un nouveau site au milieu de la décennie 2010. Elle a ensuite amorcé vigoureusement le projet à partir de 2016-2017, et rassemblé et investi les fonds nécessaires. Un terrain a été trouvé : il se situe à Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne). Le site se trouve à un peu plus de 20 kms au Nord-Ouest de l’implantation précédente. La même distance de 20 kms à vol d’oiseau le sépare de l’ancien endroit où se dressait le majestueux temple protestant de Charenton. Un édifice spectaculaire pour l’époque, qui accueillait, dans ses jours fastes, jusqu’à 4000 protestants parisiens avant la Révocation de l’Edit de Nantes de 1685[1]

Les nouveaux bâtiments d’ICC sont aujourd’hui en voie d’achèvement. Leur nom ? L’Autel royal. Cette désignation s’appuie sur une double référence. L’autel renvoie à l’importance de l’adoration, centrale dans la pratique cultuelle d’Impact Centre Chrétien. Et la désignation royale s’explique par la centralité évangélique de la métaphore du Royaume de Dieu. Les bâtiments de 4500m2, sur une surface totale de plus de 31.000 m2[2], sont impressionnants. Ils témoignent d’une conception minutieuse, portée par des ressources humaines motivées et optimisées. L’Autel royal comporte un grand auditorium principal de plus de 3000 places, mais aussi de nombreuses salles multi-fonctions, des bureaux, un restaurant : le cultuel n’est pas la seule finalité de l’Autel royal, prévu comme un Centre de conférences ou Palais des congrès. Autant dire que les espaces proposés permettront d’accueillir aussi, sur plusieurs étages, des enseignements, symposiums, répétitions de musique, enregistrements studio, concerts, festivités. Le concept se rapproche, sur ce point, de l’Espace Martin Luther King inauguré, à Créteil, en septembre 2021. Le montage financier, en revanche, est différent. Yvan et Modestine Castanou ont choisi de faire de leur Eglise la propriétaire directe, au prix d’un effort financier irrigué par plusieurs milliers de donateurs motivés.

Pasteure Modestine Castanou et le « service de l’Autel »

Visité le 22 février 2022[3], le chantier est suivi pas à pas par Modestine Castanou. Loin des rôles subalternes laissés, dans certains milieux chrétiens, aux « femmes de », Pasteure Mode, comme on l’appelle dans l’Eglise ICC, assume et incarne un modèle pastoral au féminin, investi de responsabilités de premier plan. Un exemple qui s’inscrit « dans la continuité des transformations contemporaines du leadership religieux en Afrique et dans une redéfinition globale des ministères impulsée par les réseaux charismatiques »[4] . Une des forces du projet d’Impact Centre Chrétien tiendrait-il aussi dans cette dynamique de valorisation tous azimuts des talents féminins ? Force est de constater, en tout cas, la clarté et la consistance des enseignements, mais aussi des protocoles mis en œuvre à ICC afin de placer les femmes, comme les hommes, en position de responsabilité. Que ce soit pour prêcher, enseigner, organiser ou diriger une équipe. Interrogée sur le sujet, Modestine Castanou rapporte : « aujourd’hui je vois les femmes que j’ai vues il y a 10 ans, lorsqu’elles arrivaient, mais c’était vraiment… elles se mettaient à la limite derrière, elles-mêmes elles s’excluaient: ‘ça je n’ai pas le droit de le faire parce que suis une femme’. Et aujourd’hui quand je les vois, oui, il y en a qui prêchent, il y en a qui tiennent, qui dirigent des campus chez nous, (…) elles osent parce qu’elles ont compris qui elles étaient »[5].

Les contraintes du Code de droit canonique catholique interdisent aux femmes le « service de l’autel », « sauf en l’absence d’un homme »… Certains milieux évangéliques ou fondamentalistes ne sont pas très éloignés de ces prescriptions. Elles sont hors-jeu à l’Autel royal. A quoi ressemblera ICC, une fois son Autel terminé à Croissy-Beaubourg ? Quelles recompositions ? L’avenir reste ouvert mais une chose est sûre : l’apport féminin, à tous les étages, est appelé à rester au cœur des dispositifs militants mis en place à Impact Centre Chrétien.

(à suivre)

[1] Situé dans l’Est parisien, le temple de Charenton était une sorte de « méga-Eglise » avant l’heure, du fait des nécessités du temps -restrictions au culte protestant en région parisienne- . Il a été conçu par Salomon de Brosse en 1623 (architecte protestant à l’origine aussi du palais du Luxembourg). Voir sa notice sur le site https://museeprotestant.org/

[2] Voir le site dédié, « Les bâtisseurs du Royaume » : https://impactcentrechretien.com/batisseur-du-royaume/

[3] Un album photo est disponible sur ce site : https://www.flickr.com/photos/pilgrimseb/albums/72177720297236314

[4] G. Malogne-Fer et Y. Fer, Femmes et pentecôtismes, enjeux d’autorité et rapports de genre, Genève, Labor et Fides, 2015, p.23.

[5] Interview de Modestine Castanou par Tiavina Kleber, « Celle qui construisait la plus grande église de France, avec Modestine Castanou, pasteur (église Impact Centre Chrétien) », Emission « L’Eléphant dans la pièce », postcast, 24 juin 2021 (lien