Le protestantisme est un acteur majeur du paysage religieux asiatique. Les chercheurs Pascal Bourdeaux et Jérémy Jammes ont publié en 2016 un ouvrage intitulé Chrétiens évangéliques d’Asie du Sud-Est, Expériences locales d’une ferveur conquérante (Presses Universitaires de Rennes, 2016), qui évoque des stratégies missionnaires internes et externes au continent. La diaspora Hmong en France est une illustration, parmi bien d’autres, de cette dynamique protestante. 

Quelles évolutions discernez-vous dans les églises Hmong établies en France ? 

Nous pouvons en discerner au moins quatre. D’abord, sur le plan linguistique, nos cultes se veulent de plus en plus bilingues. Dans mon église, la louange, la prédication et les annonces sont faites à la fois en Hmong et en français. Cela est dû au fait que les 2è et 3è générations sont de plus en plus nombreux et que nous avons de plus en plus de personnes non Hmong qui fréquentent nos églises. Nos responsables et nos pasteurs Hmong peuvent parler à la fois en Hmong et en français. Mais nous maintenons toujours la langue Hmong pour les personnes âgées et pour celles qui arrivent de l’Asie du Sud-Est.

Par ailleurs, la conversion individuelle a pris le dessus sur la religion collective. Autrefois, les Hmong venaient de manière collective vers le christianisme. Il s’agissait plus de changement de religion que de profession de foi personnelle. Aujourd’hui, le contexte occidental encourage le choix individuel. Cela permet à chaque Hmong de choisir sa foi (évangélique ou autre) avec une pression familiale moindre. En même temps, les enfants nés dans des familles chrétiennes quittent les bancs de l’église plus facilement.

Une autre évolution notable est que nos églises Hmong sont plus visibles dans le paysage évangélique francophone. Je pense que cela est dû à la présence continue d’étudiants Hmong dans nos instituts de formation théologique depuis plus de 20 ans mais aussi au désir de certaines églises Hmong et de certains pasteurs de travailler avec d’autres églises et pasteurs non Hmong. L’ouverture s’est faite de part et d’autre.

Enfin, les églises Hmong sont de plus en plus dispersées. Avant, on souhaitait que les églises Hmong soient regroupées pour mutualiser les forces. Aujourd’hui, les églises sont réparties entre plusieurs dénominations et il y a de plus en plus d’églises Hmong indépendantes.

Que représente la francophonie pour les églises Hmong ? 

Les églises ethniques ne sont pas toujours bien vues en France et on voit souvent les asiatiques comme discrets et repliés sur eux-mêmes. Ces deux aspects font que les Hmong et les églises Hmong restent discrets. En même temps, je rappelle que les Hmong n’ont pas de pays. Ils se sentent à la fois venus d’ailleurs mais aussi citoyens et solidaires du pays où ils habitent. Nos parents se disent laotiens, la deuxième génération se dit française. Les Hmong des Etats-Unis se veulent américains, ceux de Thaïlande, Thaïlandais et ceux de Guyane se disent guyanais. Je pense que partout où ils sont, les Hmong s’impliquent dans leur pays tant que possible et tant qu’on leur en donne l’opportunité. Cela est vrai pour la vie dans la société comme pour la vie spirituelle. Je pense que si on arrive à écouter et à comprendre les enjeux et les défis de nos églises Hmong, celles-ci se sentent comprises et peuvent s’impliquer dans le paysage évangélique français.

Quels sont les principaux défis qui attendent ces églises aujourd’hui ? 

Les églises Hmong doivent toucher plusieurs cibles en même temps. Elles ont le double défi linguistique français/hmong. Ensuite, elles doivent à la fois accompagner des Hmong qui ne parlent pas bien le français et des personnes non Hmong qui fréquentent aujourd’hui leurs cultes. Enfin, elles veulent s’impliquer aussi bien dans le monde évangélique francophone que répondre au besoin de communion des églises Hmong qui est bien réel. C’est le cas par exemple des églises Hmong de l’AECM France qui veulent être à la fois solidaires des églises non Hmong mais qui se regroupent aussi en commission interne à l’AECM pour travailler aux besoins spécifiques des églises Hmong. Ce sont des chantiers complexes qui demandent beaucoup d’efforts. Les églises Hmong en France réfléchissent aujourd’hui à leur fonctionnement et leur vision pour faire face à tous ces défis.