Intitulé « Protestantisme et interculturalité : Eglises-mosaïques entre nation et mondialisation », il s’est déroulé au Palais de la femme (Armée du Salut), à Paris, et a attiré 150 inscrits. Retour sur un colloque qui fait date.
Appuyé par une large équipe d’organisation efficace et bienveillante, le colloque a débuté, le mercredi matin 20 novembre, par une intervention liminaire de l’historien Pierre-Yves Kirschleger, maître de conférences HDR en histoire (Université Paul Valéry, Montpellier). Il a présenté le cadrage scientifique du colloque, pointant notamment la question, délicate, de la désignation. Il a été suivi par Christian Krieger, président de la Fédération Protestante de France (FPF), initiatrice de l’événement. Ce dernier a souligné que « les églises ne sont pas que des objets d’étude » : au-delà des enjeux de gestion de la diversité, il pointe aussi l’importance de l’écoute mutuelle.
La FPF, premier creuset
Un premier panel a ensuite permis de revenir sur le rôle pilote et pionnier de la Fédération Protestante comme « premier creuset des Églises issues de l’immigration ». Née en 1905, la FPF, qui fête cette année ses 120 ans, est le principal réseau faîtier représentatif de la diversité protestante française. A ce titre, elle s’est dotée de structures qui lui donnent une crédibilité particulière auprès des pouvoirs publics. De quoi faciliter l’accueil et à la structuration d’Églises nourries d’apports étrangers. Mais l’historien Pierre-Yves Kirschleger, premier orateur, n’a pas manqué de rappeler que cette articulation forte n’a pas commencé au XXe siècle. Tout au long du XIXe siècle, les nations voisines de la France – notamment la Suisse, l’Allemagne – alimentent la démographie du fragile protestantisme français (1), en pleine reconstruction. En 1849, un paroissien réformé sur quatre à Brest, parle le Romanche ! Seth Rasolondraibe, président de l’Église Protestante Malgache en France (FPMA) a ensuite minutieusement retracé 65 ans d’histoire, « du monopole à la précarité », en pointant un cap : « l’unité par la diversité ». Titulaire de la chaire d’arménologie à l’Université Catholique de Lyon, René Léonian a pour sa part évoqué, avec amplitude et précision, l’histoire des Églises évangéliques arméniennes en France, entre acculturation et préservation de l’identité arménienne.
Le directeur d’ISTINA, Frank Lemaître, a parachevé cette matinée très riche par une présentation des « Églises-mosaïques » comme « défi œcuménique pour toutes les Églises ». Il a saisi l’occasion pour présenter le remarquable travail collectif réalisé dans le cadre d’Istina au sujet des « Églises delta » (2). Les Églises delta constituent à ses yeux une catégorie à l’intérieur des « Églises mosaïques ». Ces dernières sont globalement marquées par un fort degré de diversité culturelle nourrie d’apports étrangers. Parmi ces Églises mosaïques, on appellera « Églises delta » les plus récentes, les plus jeunes, qui se sont développées au cours des 20 dernières années, avec dans certains cas des spécificités, y compris sur le terrain théologique. Des questions à poursuivre et à sonder, en matière de christologie, par exemple. Chaque intervention a pu être suivie d’un temps de question avec les acteurs présents dans la salle, permettant un véritable échange : un bon moyen d’éviter l’unicité d’une « parole sur », pour oser aussi la « parole avec ».
Recomposition et nouveaux réseaux depuis 2010
Le second panel, lors de l’après-midi du mercredi 19 novembre 2025, s’est ensuite penché sur les « recompositions et nouveaux réseaux », en privilégiant la période qui va de 2010 à 2025. L’occasion de prolonger et d’actualiser les travaux publiés dans La nouvelle France protestante (Labor et Fides), ouvrage collectif issu d’un précédent colloque porté par la Fédération Protestante de France en 2010. Entre 2010 et 2025, les Églises mosaïques nourries de diverses migrations ont connu une visibilité accrue, mais aussi des recompositions internes et externes : affiliation à la FPF, rapprochement avec le Conseil National des Évangéliques de France, émergence de réseaux indépendants. La première intervention de l’après-midi s’est intitulée « L’enjeu de la représentation des Églises-mosaïques en France depuis 2010 ». Comment représenter, dans une société qui se crispe ? A l’heure des polarisations identitaires, du déclin démocratique et d’une laïcité de surveillance et de contrôle (loi Séparatisme 2021), représenter pose des défis nouveaux. Une double arborescence protestante se propose désormais : celle de la FPF, la plus ancienne et la plus généraliste, en direction de l’ensemble du protestantisme, et celle du CNEF, plus récente, en direction de l’ensemble des protestants évangéliques. Sachant que l’enjeu de la « mosaïque » touche tous les milieux d’Églises, toutes les paroisses. et pas seulement les Églises allochtones. Ce qui varie, c’est le degré de conscience qu’en ont les acteurs : quel creuset ? Pour une créolisation, ou pour une uniformisation ? L’exposé se conclut en ouvrant sur le scénario de nouveaux réseaux, en-dehors de ces deux structures faîtières. Cet enjeu se pose notamment dans la mesure où l’échelle nationale perd de sa pertinence au profit de dynamiques nouvelles, dont celles de la francophonie, à l’heure de « l’innovation frugale ».
Brunehaut Cros, observatrice Pharos et titulaire d’un master de l’Université de Tours, a ensuite présenté le dossier des Églises Hmong évangéliques, à l’intersection du protestantisme français et du vécu diasporique sud-est asiatique. « Venir d’ailleurs, croire d’ici ». Appuyée par de précieux éléments cartographiques et chronologiques, elle retrace, à partir de matériaux d’entretien, un itinéraire d’acculturation sans assimilation. Constance Gotte (doctorante EPHE) traite ensuite du CNEF et des Églises-mosaïques, « l’unité et la représentation ». A partir d’une analyse des missions du CNEF et des enjeux autour du « travail d’unité », elle pointe une particularité des Églises de diaspora, à savoir une double stigmatisation (Goffman) : au stigmate associé au terme d’évangélique s’ajoute le stigmate de l’origine étrangère, qui peut notamment exposer davantage au « collimateur de l’État ». Les rôles du CNEF s’inscrivent dans une stratégie visant à limiter les effets liés à une altérité négativement perçue. Le niveau local apparaît comme l’espace privilégié où tester les dynamiques collaboratives ainsi que le processus d’acculturation aux attentes de l’État, débouchant en 2025 sur un Forum des diasporas qui, après l’échelle locale, nationalise l’échelle de discussion.
Enfin, c’est à Anne Ruolt (professeure à l’IBN, membre associée du GSRL) qu’il est revenu de clôturer ce second panel, à partir du thème suivant : » L’institut biblique de Nogent et les Églises mosaïque, la régulation par la formation ». Fondé en 1921, ce « hub » de formation interconfessionnel, de sensibilité évangélique, a rapidement manifesté une très large ouverture à la dimension internationale. Illustré par de nombreuses sources présentée par Powerpoint, le propos d’Anne Ruolt souligne l’évolution vers la mise en place, dans la pédagogie, le cursus de formation, ou de nouvelles filières et partenariats -comme le Département Africain de Missiologie, de Théologie Pastorale et de Formation Biblique, DEPAF, lancé en 1997 par Albert Watto- de formes d’interculturalité pensées comme un des éléments de l’identité chrétienne.
Travail sur les notions, trajectoires, enjeux de cohésion sociale
Enfin, la matinée de la seconde journée (jeudi 20 novembre 2025) a permis au troisième panel scientifique prévu de traiter du thème « Église-mosaïque, Églises-providences, actrices de la cohésion sociale ». Le sociologue Fabrice Desplan, directeur du cabinet Saexfo (3), a ouvert le ban sur le thème « Les Églises-mosaïques ou l’ajustement des regards sur les cultures ». Avec une grande finesse conceptuelle, il a mis en garde contre le danger de la représentation en silo des communautés mosaïques, et a détaillé et explicité des notions clefs (multiculturalisme, pluriculturalisme, interculturalité, transculturalité). Avec cet enjeu : que met-on dans le partage commun ? Hybridation, circulation, jusqu’où ? Ambition d’une métaculture ? Soulignant la possibilité de résurgences néocoloniales, notamment dans la mise en œuvre de logiques ethnocentriques, ou un d’un prisme d’évolutionnisme social, il nous invite à une réflexion dynamique sur la culture entre menace, refuge ou force de projection.
Emmanuel Nzanga, doctorant de l’Université de Genève, a ensuite pris la parole à partir du dossier de l’adventisme francilien, « entre tension et attention », à l’étude du « rapport dynamique des cultures ». La moitié de l’adventisme national (évalué à 18.000 personnes pour la France métropolitaine en 2024) est localisée en Île-de-France. Sa sociographie a évolué depuis les années 1960, sur la base d’un déclin continu de la présence des « Français de souche » (blancs), dont la part serait passée de 70%, en 1969, à 25% en 2024. Comment expliquer cette évolution ? Y aurait-il des obstacles culturels à l’enracinement, dans l’adventisme hexagonal, de la population majoritaire ? Se pourrait-il que la culture locale française soit plus vue, par les missionnaires adventistes, comme un obstacle à surmonter que comme un terrain à comprendre ? Autant de questions étayées par des pistes d’analyse.
Le panel s’est trouvé parachevé par l’intervention de Bernard Coyault (doyen de la FUTP de Bruxelles). Il propose d’abord quelques repères généraux pour comprendre les spécificités de la situation belge, à partir, notamment, de la grande enquête sur les noirs de Belgique, dont les résultats sont sortis en octobre 2025 : la Belgique compterait aujourd’hui 450.000 personnes noires, soit 4% de la population totale. Cette « communauté » est marquée, souvent, par l’expérience sociale de la discrimination, de l’altérisation, de la marginalisation en raison du phénotype. Elle s’affirme aussi, comparativement à la moyenne de la population belge, comme beaucoup plus religieuse. On observe une fréquentation massive des lieux de culte. Pour autant, le référentiel religieux des personnes afrodescendantes ne se réduit pas à une fabrique de la communauté ou de la conformité. A partir de quatre trajectoires individuelles singulières, dont certaines élaborent une sortie du religieux chrétien, Bernard Coyault montre les processus de recomposition des habitus hérités. Ces quatre itinéraires, qui sont autant d’actrices et d’acteurs au service de la communauté noire, illustrent les processus de déconstruction et de proposition qui s’opèrent, entre alignement et désalignement face aux injonctions communautaires.
Interpellations et ouvertures
Comme lors des autres panels, des questions et interpellations du public ont nourri la réflexion. A noter que Karim Arezki (retenu par un séjour à l’étranger) et Jean-Claude Girondin (souffrant) n’ont malheureusement pu se joindre à ce panel. Gageons que l’ouvrage qui devrait prolonger ce colloque permettra de rajouter leur précieuse contribution. Deux table-rondes d’acteurs ont, enfin, clôturé ce colloque. La première table ronde a été animée par Mehdie Marinette, notamment secrétaire générale des Églises de la CEAF. Elle a permis de faire surgir de précieux compléments et interpellations de la part d’acteurs engagés : Patrice Kaulanjan (ancien président de l’IBN), Victoria Kamondji (présidente de la CEAF), Olivier Lô (président de l’AECM), et Olivia Passy (pasteure EPUdF). La seconde table ronde était ensuite consacrée aux « comparaisons européennes », avec Daniele Garrone (FCEI), Alfredo Abad Heras (IEE), Adela Negriu (FEREDE) et Christel Zogning Meli (EPUB). Animée par Jean-Raymond Stauffacher (secrétaire général de la FPF, auquel ce colloque doit beaucoup), elle a opportunément permis, à partir des dossiers espagnol, italien et belge, d’élargir la focale tout en recueillant le « regard des voisins » sur le dossier français.
Au total, comme l’ont pointé les trois membres du comité scientifique au terme de ce colloque très stimulant, beaucoup de grain à moudre, qu’il appartiendra à la publication des actes du colloque de restituer. Merci à la FPF pour l’impulsion donnée, et à suivre !
(1) Lire Pierre-Yves Kirschleger, La matrice étrangère du protestantisme ((XIXe siècle), Les apports internationaux dans la refondation d’une communauté religieuse, Genève, Labor et Fides, 2024.
(2) Lire le dossier « Les Églises ‘delta’, Comprendre des Églises nouvelles en France, tisser des liens nouveaux, ISTINA, volume LXX , janvier-juin 2025, n°1-2.
(3) Fabrice Desplan, Des cultures à la métaculture évangélique, pour une relation dynamique entre traditions et vie ecclésiale, Norderstedt, ed BoD, 2024.

