Portrait n°7 de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».
Les Églises africaines sont-elles forcément marquées par un modèle patriarcal pesant ? Répondre hâtivement par « oui », c’est risquer de céder à un stéréotype courant, qui voudrait que les femmes, en Europe, soient nécessairement mieux acceptées dans les postes d’autorité et d’enseignement. En réalité, suivant les périodes, les pays, les Églises, les situations sont variables. En France, les Églises de la Communauté d’Églises d’Expression Africaine (CEAF), par exemple, accueillent dès leur origine la prédication des femmes. Alors que bon nombre d’Églises hexagonales implantées bien après la CEAF refusent aujourd’hui cette option aux femmes, pour des raisons doctrinales.
Dans certains contextes africains, les femmes ont davantage accès à la prédication et à l’exhortation prophétique dans les Églises de Réveil et les Églises dites « natives » (postcoloniales), que dans les Églises dénominationnelles implantées en Afrique par les Blancs venus d’Europe ou d’Amérique. Au sein de ces dernières, la parole enseignante féminine est souvent restée suspecte, en raison de l’interdit longtemps posé dans les traditions confessionnelles européennes ou nord-américaines.
Les choses ont cependant évolué progressivement depuis 40 ans dans ces Églises. Des pionnières africaines ont contribué à un meilleur accueil de la prédication féminine, jusqu’au pastorat. Émilienne Mboungou-Mouyabi, au Congo Brazzaville, est représentative de ces « amazones du Seigneur » qui ont fait progresser la parole féminine à l’intérieur des dénominations protestantes mises en place à partir d’un effort missionnaire occidental.
Une étudiante qui reçoit la vocation
Née Niangui-Loubota, Emilienne voie le jour au Congo-Brazzaville le 24 décembre 1957. Première née d’une famille protestante de huit enfants, elle se distingue, lors des ses études à Kimongo, par des capacités scolaires hors du commun. Mais son parcours éducatif se heurte à un plafond de verre qui entrave alors le développement de beaucoup de jeunes filles : à partir du collège, des enseignants se servent de leur position d’autorité pour demander des faveurs sexuelles. Jugeant ces pratiques insupportables, Emilienne choisit de renoncer à poursuivre ses études en 1972. Elle s’investit d’autant plus dans la paroisse de l’Église Évangélique du Congo dont son père est diacre [1]. Baptisée à l’âge de 15 ans, responsable de la chorale, elle s’implique aussi dans l’enseignement catéchétique, où, dit-on, elle fait merveille. Son dévouement et la qualité de son service attirent l’attention. Bientôt, la voilà promue secrétaire consistoriale (1974), alors que s’affirme peu à peu son désir d’accéder un jour au pastorat. A cette époque, l’expérience est encore inédite au Congo Brazzaville, même si l’Église Évangélique du Congo a voté, dès 1969, en faveur du principe du pastorat féminin. L’EEC a davantage l’habitude des ministères prophétiques, dans la tradition du Réveil de 1947 porté par le pasteur Daniel Ndoundou (1911-1986), dont Bernard Coyault a étudié des développements contemporains[2]. Prophétesse ? Oui, pourquoi pas. Mais pasteure ? C’est inédit.
Première pasteure de l’Église Évangélique du Congo
Encadrée par le pasteur Bavibidila qui voit en elle une vocation authentique au pastorat, Emilienne ne désarme pas. La voilà qui se porte candidate au concours dʼentrée au Séminaire Théologique de Mantsimou à Brazzaville, tremplin vers le ministère pastoral. Emilienne se retrouve seule lauréate ! Ainsi encouragée, elle entame à 19 ans une formation pastorale (1976) au séminaire de Mantsimou. Eloquente, travailleuse, son intelligence et sa droiture impressionnent ses collègues. Malgré les obstacles, la formation théorique et pratique est finalement couronnée de succès et en juin 1985, elle obtient son diplôme de pasteur à Brazzaville. La voici première femme pasteur de l’Église Évangélique du Congo ! Un verrou a sauté, et la presse locale saisit l’occasion pour saluer la pionnière. Emilienne déclare alors : « La joie dʼêtre la première femme-pasteur se traduit en moi comme un signe de croissance de notre Église et une prise de conscience des chrétiennes à travailler davantage aux côtés des hommes pour lʼavancement de lʼœuvre du Seigneur. C’est pourquoi j’invite toutes les femmes, notamment les jeunes filles qui sentent la vocation de devenir pasteur, de ne pas reculer, mais de prier et de s’engager fermement, avec foi » [3].
Entre temps mariée au Dr. Mboungou-Mouyabi, qu’elle épouse selon la coutume en 1982, puis selon l’état civil le 30 janvier 1984, elle entame un ministère pastoral avec son conjoint. Chacun dans une paroisse différente. Elle oeuvre à Mouzanga, puis à Mouyondzi, s’attirant la sympathie de beaucoup de paroissiens. Elle doit aussi cultiver la terre, le salaire pastoral ne suffisant pas à nourrir la famille. En 1987, année de sa consécration pastorale officielle, la voici détachée de sa paroisse, et envoyée à Brazzaville pour animer le département de lʼœuvre féminine de lʼEEC. Emilienne ne ménage pas sa peine. Elle est femme et pasteur dans une société qui n’en a pas l’habitude. On attend d’elle qu’elle assure son travail pastoral, mais aussi, de surcroît, les rôles traditionnels de la femme. Une illustration, bien avant que l’expression devienne à la mode, d’une « charge mentale » considérable, faite de prescriptions explicites et de pressions implicites [4].
Il est difficile de tout concilier : vie conjugale, engagement pastoral, responsabilités nationales au sein de l’ECC, multiples déplacements…. et bientôt maternité : Emilienne accouche de son premier enfant, puis de son deuxième bébé, par césarienne, le 10 mai 1989. Deux heureux événements, mais voilés par la tragédie qui s’annonce. Mal remise de son second accouchement, prise d’une violente crise de paludisme, Emilienne décède le 25 mai 1989, âgée seulement de 32 ans. Elle avait été sélectionnée peu avant parmi les meilleurs étudiants de sa promotion, pour tenter le concours d’entrée à la faculté de théologie protestante de Yaoundé, au Cameroun. A la nouvelle du décès d’Emilienne, l’Église Évangélique du Congo toute entière est sous le choc. Sa mère, effondrée, remet en cause la manière dont la vocation d’Emilienne a été mise en oeuvre. Trop de pression, trop d’attente. Pour le Pasteur Tsibatala, au contraire, Emilienne a rendu crédible et respectable la vocation pastorale féminine au Congo Brazzaville : « Cʼest grâce à elle quʼon a aujourdʼhui dʼautres femmes pasteurs. » [5]
[1] Fondée en 1961, l’Église Évangélique du Congo, francophone, issue de l’oeuvre d’une mission suédoise, est la plus importante Église protestante du Congo Brazzaville.
[2] Bernard Coyault, » Un kilombo à Paris. L’itinéraire d’une prophétesse de l’Église évangélique du Congo », Archives de Sciences Sociales des Religions, n°143, juillet-septembre 2008, p.151-173.
[3] Émilienne Mboungou-Mouyabi, citée par Médine Moussounga Keener et Eliser Moussounga dans la notice biographique très complète qu’ils ont consacré à Emilienne dans le Dictionnaire BIographique des Chrétiens d’Afrique (online).
[4] Aurélia Schneider, La charge mentale des femmes (et celle des hommes), Paris, Larousse, 2018.
[5] Pasteur Dominique Tsibatala, cité par Moussounga Keener et Moussounga (ibid).