La francophonie protestante offre aujourd’hui de nombreux terrains d’observation où les femmes disposent d’un accès aux positions d’autorité, que ce soit via le pastorat, l’enseignement, ou d’autres ministères (prophétesse, voire même exceptionnellement évêque). Mais ce serait une grosse erreur de perspective d’imaginer que le sujet ne fait plus débat, en particulier dans les mondes évangéliques.

Autrice, présidente de la société d’histoire baptiste, après avoir été pasteure et aumônière, Anniel Hatton nous offre de précieux éléments de réflexion, via un regard rétrospectif porté sur quelques éléments saillants de son parcours.

1/ Anniel Hatton, pouvez-vous vous présenter ?

Pasteure de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France, je suis mariée à un pasteur brésilien-américain (et maintenant aussi français), mère de trois enfants adultes dont une pasteure, et grand-mère de deux pré-adolescents dynamiques.

2/ Vous êtes aussi, depuis plusieurs années, présidente de la Société d’Histoire Baptiste (SHDBF). En quoi consiste cette société ?

La SHDBF (Société d’Histoire et de Documentation Baptistes de France) est une jeune Société d’Histoire née en l’an 2000. L’idée d’une telle société est venue de l’historien baptiste Michel Thobois dont le désir était de faire travailler ensemble sur un projet commun des frères et sœurs en la foi qui, à un moment donné de leur histoire, avaient pris des chemins différents, pour des questions certes théologiques mais aussi, et peut-être surtout, pour des questions de personnes. C’est ainsi que la SHDBF rassemble en particulier des protestants baptistes de différentes sensibilités qui recherchent et collectent des documents sur le passé de leurs Églises, et revisitent ensemble leur histoire, cherchant à aller au-delà de leurs « légendes dorées ». La SHDBF publie un bulletin avec des articles sur des pans de l’histoire baptiste, des personnages qui ont eu un impact au cours de cette histoire, des recensions d’ouvrages, etc. Sept bulletins sont déjà parus et le huitième paraîtra en mai 2023 (1). La SHDBF anime une page Facebook sur laquelle on peut trouver de petites anecdotes du passé et un site : http://shdbf.hautetfort.com/, qui regorge d’informations et de documents divers et variés. Les documents anciens que nous possédons peuvent être consultés sur rendez-vous (se renseigner au 06 75 98 17 90).

3/ Au cours de votre ministère pastoral, quelles ont été les principales évolutions, mais aussi les résistances que vous avez constatées en matière de ministères féminins ?

Lorsque j’ai commencé mes études de théologie en 1970, j’ai été confrontée à des critiques virulentes, des oppositions de toutes sortes, et même des menaces de la part de proches, de membres de mon Église locale et de pasteurs de la FEEBF. Si, tout au fond de moi, je n’avais pas eu la conviction d’avoir reçu un appel de Dieu, si je n’avais pas été soutenue par mes parents et ma fratrie, ainsi que des ami(e)s pasteur(e)s de l’ERF, j’aurais eu beaucoup de mal à supporter la marginalisation dans laquelle je me suis tout à coup retrouvée.

J’ai perdu la plupart de ceux que je considérais comme mes amis. Ma situation a empiré quand j’ai postulé pour un poste pastoral auprès du conseil national de la FEEBF en 1976. Un seul pasteur, le pasteur Jean Ivan, a accepté de me donner ma chance et de me prendre comme stagiaire dans son Église de St Quentin (Aisne) à la fin de mes études. Puis, le conseil de la FEEBF n’ayant rien de concret à me proposer, j’ai passé un an au chômage, exerçant divers « petits boulots » dont celui de préceptrice du petit Samy sur le lieu de tournage du film « La vie devant soi ».

Le président du conseil de la FEEBF m’a ensuite dit qu’il fallait que je rentre dans le ministère pastoral « par la petite porte », soit dans l’aumônerie des hôpitaux, ministère que j’ai exercé pendant 7 ans. J’avais 26 ans, et on m’a confié à la fois l’hôpital Intercommunal de Créteil et ce qu’on appelait alors « l’Hospice des incurables » d’Ivry. Ce dernier établissement, où les malades étaient parqués dans des salles de quarante lits, avait été affublé du sobriquet « le mouroir » par les habitants du quartier dans lequel il se trouvait.

Comme je n’avais qu’une indemnité de déplacement, pour vivre j’ai travaillé comme animatrice de centres de loisirs, j’ai fait des corrections d’épreuves de la Bible pour la Société biblique, j’ai été traductrice pour le COE, j’ai distribué des journaux publicitaires dans les boîtes aux lettres, etc.

Lorsque je me suis mariée, j’ai été appelée en tant que co-pasteure pendant quinze ans, en collaboration avec mon mari, de deux Églises locales, à Amiens tout d’abord, puis à Paris-rue de Lille. Cette évolution pouvait enfin être possible, parce que, me dit un responsable de la FEEBF, j’étais alors « couverte par le ministère de mon mari ».

Après une longue période de « burn-out », j’ai terminé officiellement mon temps de ministère par dix ans dans l’aumônerie aux aéroports, un ministère passionnant au cours duquel j’ai évolué dans un cadre œcuménique et interreligieux qui m’a permis de nouer des contacts avec des hommes et des femmes de tous horizons géographiques, linguistiques, sociaux et religieux que je n’aurais jamais rencontrés autrement.

Les choses ont bien changé depuis le début de mon entrée dans le ministère, puisque, petit à petit, d’autres femmes se sont senties appelées au pastorat et l’exercent même seules. Mais même encore maintenant, il existe de réelles résistances au ministère pastoral féminin dans certaines Églises locales.

4/ Vous êtes autrice de nombreux textes, dont le livre Génération Rosa Parks (2). Qu’est-ce qui vous motive à écrire, et pour quels publics ?

J’avais écrit la première version de ce livre en 2008, dans le but de montrer que, derrière le ministère du charismatique Martin Luther King, il y avait de nombreuses femmes de valeur dont on a peu parlé et qui ont œuvré dans l’ombre pour que le mouvement des droits civiques vive et ait un impact concret dans la société.

Je voulais aussi encourager mes consœurs du monde évangélique français dont certaines souffrent encore maintenant d’oppositions et d’attaques de toutes sortes en leur racontant des témoignages de chrétiennes d’outre-Atlantique. Ces femmes n’ont pas hésité à se battre pour la liberté et l’égalité pour tous au risque de leur réputation et même de leur vie (3).

5/ Avec les réseaux sociaux (internet), la francophonie protestante est aujourd’hui plus connectée que jamais. A la lumière de l’histoire des baptistes que vous connaissez particulièrement, et de par votre expérience, pensez-vous que cela favorise l’ouverture internationale, ou au contraire une forme de rétrécissement ?

Avec le développement des réseaux sociaux, nous sommes en effet confrontés à une ouverture sur le monde sans précédent. Et, dans un sens, c’est éminemment positif ! Un problème que j’ai cependant constaté, c’est qu’au lieu de s’ouvrir à la différence, beaucoup d’internautes se limitent malheureusement à des rencontres et des contacts avec ceux et celles qui pensent comme eux. On en arrive même parfois à se faire insulter si on ose la contradiction, ce qui fait que, finalement, pour se protéger, on peut en arriver à s’auto-censurer.

Mais s’ils sont bien gérés, ces réseaux sociaux peuvent tout de même nous permettre d’entrer en contact non seulement avec des membres de la francophonie protestante, mais aussi avec des hommes et des femmes d’autres univers linguistiques, et de tisser des liens avec eux ! Et c’est une véritable richesse pour tous !

(1) Ils sont disponibles sur commande au 48, rue de Lille, 75007-Paris ou à president@shdbf.fr.

(2) Anniel Hatton, Génération Rosa Parks, Ampelos, 2018

(3) Voir aussi Anniel Hatton, Les combattantes de la liberté, Elles ont lutté dans l’ombre de Martin Luther King, Paris, L’oeuvre éditions, 2009