Dans la littérature antillaise, la référence au rôle féminin est omniprésente. Marquée par l’héritage d’une société esclavagiste traumatisante, elle prend volontiers les contours de figures héroïques. Des femmes créoles qui se dressent avec fierté, courage et persistance pour maintenir, contre vents et marées, la cellule familiale et l’avenir du lignage. Des expressions telles que « Je suis la mère, je suis le père ! », An sé on fanm doubout « Je suis une femme debout » illustrent, dans le langage courant, ce statut de battante conféré aux femmes, « sexe fiable »(1) grâce auquel la société fonctionne bien.
Femmes debouts et citoyennes
Sur une initiative protestante évangélique à large spectre, un premier colloque a été organisé autour de ces thématiques en Guadeloupe entre les 3 et 10 mars 2012. Intitulé « Femmes d’aujourd’hui, Engagement, responsabilité, identité et authenticité », il avait mobilisé à l’époque de larges pans de la société guadeloupéenne et nourri une réflexion qui s’est attachée à sortir des stéréotypes. Le sociologue Jean-Claude Girondin, principal maître d’oeuvre de cette initiative collective, soulignait ceci : « Au-delà des clichés, quel(s) constat(s) faire sur les responsabilités tenues par les femmes dans les Églises et dans la société guadeloupéenne ? Peut-on voir dans la femme vertueuse du livre des Proverbes (chap. 31), l’archétype de la femme créole Poto-mitan ?(2) Doit-on sacraliser le modèle ou le modifier en évitant le stéréotype matriarcal ? »
Dynamique collective et inclusive
C’est dans l’axe de cette option réflexive que s’inscrit un second colloque prévu en Guadeloupe des 7 au 14 mars 2015, toujours dans le cadre de la Journée internationale de la Femme. Intitulé « De la conviction à la responsabilité citoyenne », il est animé par un comité de pilotage composé d’une équipe de treize femmes, avec le soutien porteur de l’association protestante évangélique Agapé Guadeloupe. Ce colloque mobilisateur articule à nouveau une inspiration protestante, soucieuse d’infuser dans la réflexion les valeurs de l’Evangile, et une dynamique collective et inclusive qui vise à interroger l’ensemble de la société autour des enjeux de responsabilité et de citoyenneté, au sein d’une société créole en mutation, six ans après la grève générale des Antilles françaises (février-mars 2009)(3) . Pas moins de douze conférences-débats émargent au programme, ainsi que deux tables-rondes et un dîner-débat en musique. Ethique, littérature, sociologie, histoire et théologie sont au menu, et une ample publicité est donnée à l’événement, appelé à mobiliser médias et acteurs sociaux guadeloupéens.
Un protestantisme guadeloupéen divers et mobilisé
Moteur de l’événement, le protestantisme évangélique de Guadeloupe n’est pas seul. Les adventistes de Guadeloupe rassemblent ainsi plus de 12.000 membres répartis en une soixantaine d’églises locales(4) . Par ailleurs, la construction du centre protestant réformé de Guadeloupe, dont la première pierre a été posée le 24 janvier 2015 par Marie-Laure Abinne, président du conseil presbytéral, rappelle la présence sur l’île d’une trentaine de familles rattachées aux Eglises Protestantes Réformées dans la Caraïbe.
Une initiative guadeloupéenne à valeur d’exemple
Mais au sein des Églises issues de la Réforme, les protestants de type évangélique, marqués par l’accent sur la conversion et l’engagement professant, sont très largement majoritaires, comme ils le sont aussi plus globalement au sein du protestantisme caribéen. En Guadeloupe, ils s’appuient sur un enracinement local marqué, notamment, par le rayonnement de l’Eglise Evangélique de la Guadeloupe. Fondée en 1948, l’EEG est constituée en association unique loi 1905, organisée autour d’un bureau et d’un conseil pastoral qui donnent les grandes lignes de la direction. La plupart des 32 communes de Guadeloupe disposent d’au moins un lieu de culte rattaché à l’EEG. Assemblées de Dieu (pentecôtistes), Baptistes, charismatiques et autres réseaux moins importants complètent par ailleurs un paysage protestant guadeloupéen marqué par une forte pratique religieuse… et un goût du partage que les manifestations 2015 autour des « Femmes créoles d’aujourd’hui » mobilisent sur le mode bik a pawòl, c’est-à-dire « carrefour d’échanges ».
Ouverture forte à tous niveaux vers les femmes, accent sur la responsabilisation, valorisation du débat horizontal et large participation des laïques : un exemple ambitieux, qui nous vient de Guadeloupe, pour une contribution protestante d’intérêt général, dans une République française qui s’obstine toujours à faire primer les élus sur les élues(5).
(1) Cf. l’ouvrage de Patrick Besson, Le sexe fiable, Paris, Mille et une nuits, 2004.
(2) Expression créole qui désigne littéralement le « pilier principal » qui fait tout tenir.
(3) Jean-Claude Girondin, Au sujet du colloque « Femmes doubout, Femmes créoles d’aujourd’hui » (2012), archives du site .
(4) Données Fabrice Desplan, Rapport RGPF (Reconfigurations de la galaxie protestante en France), IESR, 2010, p.189.
(5) Les femmes représentent aujourd’hui 26,9% et 25% des élues respectivement à l’Assemblée Nationale et au Sénat (France). En Suède, en Finlande, en Hollande, leur proportion dépasse les 40%.