Après la décennie des années 1990 durant laquelle les spectacles et concerts Gospel se multiplient, particulièrement en Île-de-France, l’année 1999 marque un nouveau tournant. C’est en effet cette année-là que voit le jour une maison de production et de distribution intitulée Ccinia. Sa spécialité ? Le Gospel français. On a bien lu : Gospel français. Il ne s’agit plus, ici, de commercialiser des albums originaux ou remixés issus du très vaste répertoire nord-américain. Il ne s’agit pas davantage de valoriser des interprétations françaises des standards d’outre-Atlantique. L’objectif est bien davantage ici de lancer de nouveaux répertoires Gospel composés par des francophones pour des publics de langue française.Rayon Gospel français à la FNAC (1999)Durant cette même année 1999, les magasins FNAC à Paris, puis en province, créent également un rayon « Gospel français ». Coïncidence ? Sûrement pas. C’est l’arrivée à une première maturité d’un nouveau marché Gospel francophone qui se trouve aussi traduite en actes. Producteurs et distributeurs se mettent désormais sur les rangs. L’ouverture en Île-de-France d’un marché Gospel mainstream a permis aux groupes déjà actifs, depuis les années 1970-80, de capitaliser autour de leur expérience. C’est le cas en particulier des Palata Singers, ensemble né dès 1977 au sein de l’Église évangélique du Congo-Brazzaville, et des Chérubins, chorale créée à Sarcelles en 1985 par le pasteur africain de l’église évangélique Béthel.

On y retrouve le pasteur et chantre congolais Marcel Boungou, qui est passé, en île-de-France, par toutes les étapes de la dialectique intégrative et interculturelle, de la quasi clandestinité d’un chanteur évangélique « sans papier » à la gloire d’un interprète sur le haut de l’affiche aux côtés de Ray Charles(1). A l’image de son itinéraire, la route est semée d’embûches pour les groupes musicaux. Trouver des salles adaptées, parvenir à mobiliser sur la durée des chorales importantes, financer les équipements nécessaires, médiatiser les événements et fidéliser le public constituent autant de défis avant la Terre promise d’une visibilité rémunératrice. Approximations, échecs, bricolages et jalousies sont le lot de beaucoup.

« Mona Lisa a apprécié notre visite »

Mais en dépit des obstacles, le Gospel francophone est bel et bien parvenu, à l’entrée du XXIe siècle, à se faire une place au soleil des variétés musicales françaises. Variétés musicales ? Le chantre Marcel Boungou n’est pas d’accord. « Le Gospel n’est pas une musique de variété. C’est l’expression de la foi en Dieu. », souligne-t-il en 2011, à l’occasion de ses 30 ans de carrière, l’année où il remplit le Casino de Paris le 16 avril 2011. La réalité est plus nuancée : le Gospel francophone fait bien partie désormais des « variétés », mais ce n’est pas qu’une variété. C’est aussi, pour celles et ceux qui veulent bien l’écouter ainsi, une expression spirituelle, celle d’un christianisme marqué par le sceau de la Grâce, de la libération, et de la rédemption.

Soulignons que cette émergence d’un Gospel francophone et français ne marque nulle rupture par rapport à l’hégémonie antérieure du Gospel nord-américain. Il s’agit d’un élargissement dans la continuité : artistes, chorales, « stars » du Gospel états-unien continuent à se produire en France, à l’image de Babbie Mason et son groupe Destiny Praise : interrogée par Jean-Luc Gadreau en 2006 à l’occasion d’une tournée en France, cette dernière affirme : « la musique gospel est bien plus saisissante que les plus grands discours »; soulignant que les Français « ont besoin d’ajouter de la joie à leur vie », elle rapporte avoir chanté lors de sa tournée précédente au Musée du Louvre, devant Mona Lisa : « J’ai chanté devant et je crois qu’elle a apprécié notre visite ! »(2)

(1) Marcel Boungou, Du Gospel à l’Evangile, itinéraire d’un « gospel singer » africain, Marseille, ed. Onésime 2000, 2008.
(2) Jean-Luc Gadreau, « Rencontre avec Babbie Mason », Construire Ensemble, septembre 2006, p.15 à 17.