Natif de Belgique, Patrick Deneut, a œuvré respectivement en Belgique (région de Liège, durant 20 ans), au Rwanda (7 ans), au Québec (plus de dix ans, en deux séjours) et en France où il encadre depuis 2011 l’Église baptiste de la rue d’Italie à Marseille.

Quel regard portez-vous sur la francophonie protestante au Québec ?

La France est un phare pour les pays francophones, mais chacun de ces pays a évolué différemment. Les Québécois sont quand même des Américains, avec leur pragmatisme typiquement nord-américain, mais ils parlent français, et ont gardé aussi un certain sens critique, mais peut-être pas comme en France. Quand ils font des choix, c’est plus radical, il y a moins le doute chez-eux. Quand ils rejettent, ils rejettent en bloc. Les protestants québécois ont rejeté le catholicisme en bloc. Mais il faut rappeler que longtemps, au Québec, être protestant francophone, c’était inconcevable. On a longtemps évacué tout un pan de l’histoire des débuts du Québec, où les protestants étaient présents, et on a mis le catholicisme en avant comme seule religion des Québécois. Du coup, c’était longtemps très dur d’être protestant, francophone et québécois. Dans les années 1950, on a encore parfois mis des baptistes en prison, par exemple !

A la fin des années 1970, il m’est encore arrivé d’être harcelé, au Québec, car j’étais protestant. Pour les protestants anglophones, cela a toujours été bien plus facile. Les protestants francophones, eux, passaient pour des traîtres au Québec, il étaient traités comme des citoyens de seconde zone. Il y a une expression, chez les protestants francophones québécois, pour traduire cela : on dit qu’ils étaient « nés pour du petit pain ».

La pâte du « petit pain » a maintenant levé… Comment voyez-vous ces développements ?

Quand le Réveil a commencé, dans les années 1970, c’était très compliqué. Car d’un côté, il y avait une aspiration à se libérer du catholicisme, qui était ressenti comme un carcan. Le catholicisme s’est alors trouvé rejeté en bloc, c’était impressionnant. Mais de l’autre, cette aspiration à se libérer est allée très loin, à l’extrême, dans tous les domaines, plus qu’en France. Alors on rejetait tout de la religion, y compris ce qu’offraient les protestants. Mais les protestants, surtout évangéliques, s’en sont bien tirés. La francophonie protestante s’est maintenant développée au Québec, même si c’est sur un mode très fragmenté, avec certaines tendances extrêmes. C’est comme si le catholicisme un peu extrême qui marque le passé québécois s’était reformulé, dans ses côtés stricts, chez certains protestants fondamentalistes. Une partie de la culture québécoise aime la rigidité, des cadres très étroits, qu’on ne discute pas. Cela se retrouve aujourd’hui chez certains baptistes, par exemple, où on se méfie des « bolets » (intellectuels), comme on dit parfois. J’ai eu l’occasion de voir tout cela de près, en tant que pasteur sur place, mais aussi en tant que participant au partenariat baptiste francophone qui a fonctionné pendant plusieurs années après l’an 2000, soutenu par la FEEBF (Fédération Baptiste). Robert (Bob) Berry, un Canadien bilingue, a joué un rôle important dans ce partenariat et je veux lui rendre hommage. Nous avons organisé des voyages missionnaires, des échanges, des enseignements entre le Québec, la France, l’Afrique et les Caraïbes. C’est ainsi par exemple que le pasteur Henri Frantz, venu pour un an au Québec, est finalement resté cinq ans ! Des Belges, des Français, des Québécois, des Africains, des Chinois de Paris qui parlaient français, des Acadiens, des Haïtiens ont participé activement.

En tant que pasteur belge, exerçant maintenant en France, quel regard comparé jetez-vous sur ces deux espaces francophones, et sur la France en particulier ?

Ce que je vais dire peut surprendre, mais je l’ai vérifié maintes fois. Contrairement à ce qu’on pense souvent, en tant que Belge, je trouve les Français plus ouverts que mes compatriotes à l’Évangile.  Les Belges sont très joviaux, mais il y a des choses dont on ne parle pas facilement, et la religion en fait partie. Les protestants évangéliques ont longtemps été mal perçus par nos autorités belges. Les choses changent depuis quelques années, tant mieux. Les Français discutent plus, ce qui nous donne parfois, à nous autres Belges, des complexes. Ils « jasent bien », comme on dit, et il y a un intérêt pour l’Évangile.  Malgré les dérives sectaires de la laïcité, ce qu’on appelle les « laïcards », la France fait bon accueil aux Églises. Je tiens à dire que la laïcité à la française est un grand bien pour les Églises minoritaires, quand elle est respectée dans son esprit.  Cela a été une surprise pour moi. Une bonne surprise.

Par ailleurs, j’ai trouvé la France très généreuse vis-à-vis de la francophonie. J’ai vu cela de près à l’intérieur de la FEEBF, mon union d’Églises. Je ne suis pas du tout déçu de mon vécu en France, je n’ai pas été jugé sur ma façon de m’exprimer. On dit que les Français sont très pointilleux, très cartésiens, mais en général, j’ai trouvé les Français très ouverts à l’autre francophone. Parfois ils parlent un peu trop de leur grand pays, mais ils sont généreux, y compris pour la mission.

Et qu’avez-vous retiré de votre expérience africaine au Rwanda francophone ?

« L’Afrique, tu l’aimes ou tu ne l’aimes pas ». Moi je l’aime et j’y ai exercé sept ans (3 fois par an pour 20 jours) comme pasteur-professeur au Rwanda, ancienne colonie belge. J’y ai trouvé des gens accueillants, ouverts, portés par l’envie de connaître, de grandir, et qui aspirent à une meilleure vie. La francophonie y reste très importante. J’y ai enseigné, mais j’ai plus reçu que ce que j’ai pu transmettre. Une des choses qui m’a frappé, c’est qu’après le génocide, je n’ai jamais entendu un Rwandais dire : « pourquoi Dieu a permis cela ? ». Dieu a toute sa place, et Il est du côté du Bien. Les Rwandais n’avaient que gratitude pour Dieu, beaucoup de dignité. On n’accuse pas Dieu du mal commis par les hommes. Un défi pour ce pays, aujourd’hui, c’est qu’il faut une génération pour oublier les blessures du génocide. Et dans ce laps de temps, il faut enraciner l’Évangile plus en profondeur. La christianisation de surface, sans racine, est impuissante à empêcher le mal. Enraciner plus profond est nécessaire, et cela vaut pour tous les chrétiens, y compris en France. Comment accueillons-nous ici les réfugiés ? L’Évangile nous invite à être beaucoup plus ouvert vers ces frères et sœurs qui ont tout perdu, et qui viennent dans notre pays avec dignité, le regard mûri par la souffrance. Dans l’église dont je m’occupe, au 102 rue d’Italie à Marseille, nous avons 17 nations représentées, quatre continents. C’est une richesse d’apprendre à s’ouvrir à d’autres façons d’adorer le Seigneur, tout en s’enracinant ensemble, plus profondément, dans l’Évangile.