Depuis 2019, Kévin Boucaud-Victoire est rédacteur en chef débat et idées au magazine Marianne. Il est aussi l’auteur d’un ouvrage d’entretiens avec le pasteur Samuel Peterschmitt, La déferlante (Première Partie, 2020). Récemment auteur de Mon antiracisme (Paris, Desclée, 2025), il nous en dit plus sur sa réflexion et ses engagements. Entretien.

Kevin Boucaud-Victoire, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis journaliste, rédacteur en chef débat et idées au magazine Marianne, depuis 2019. En 2014, j’ai également fondé, avec des amis, la revue en ligne Le Comptoir, dont la ligne éditoriale est socialiste – au sens marxiste – et décroissante. Nous avons également sorti 4 numéros papiers. Je suis aussi auteur de 6 essais en librairies : La guerre des gauches (2017, réédité en poche en 2025), George Orwell écrivain des gens ordinaires (2018), Mystère Michéa (2019), Frantz Fanon ou l’antiracisme universaliste (2023), Penser le rap (2024) et Mon antiracisme (2025). Enfin, pour être totalement transparent, je me suis fait baptiser évangélique en 2010, soit 15 ans après ma mère et 10 ans après ma grande sœur.

Vous êtes rédacteur en chef de la rubrique débats & idées dans l’hebdo Marianne. Pour quelle raison avez-vous choisi de vous engager dans ce média ?

La principale raison est simple : dans un milieu où les places sont rares et chères, je ne pouvais pas passer à côté de la proposition qui m’avait été faite par l’ancienne directrice de la rédaction, Natacha Polony. Mais c’est vrai que cela ne se résume pas à cela : j’aime bien la ligne anticonformiste, de gauche capable de critiquer les dérives de son camp et – du moins à l’époque – eurocritique.

Votre devise est : « Jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai repris cette devise de la Scred Connexion, collectif créé dans les années 1990 par le rappeur Fabe.  Outre ma passion pour cette musique, dont témoigne mon cinquième essai, et mon admiration pour ce collectif, j’aime beaucoup le sens de cette devise. Nous vivons trop sous l’influence des modes (culturelles, politiques, intellectuelles) éphémères qui ne mènent nulle part et s’avèrent parfois nuisible. C’est pour cela que je fais mienne cette devise, parce que je préfère la vérité au conformisme. Cela me rappelle cette réplique de Martin Eden, héros du roman du même nom de Jack London : « Si je n’aime pas une chose, je ne l’aime pas, voila tout; et rien au monde ne me fera l’aimer, parce que la grande majorité de mes contemporains l’aime, ou fait semblant de l’aimer. Mes goûts et mes aversions ne suivent pas la mode. […] Nous ne devons avoir qu’une maîtresse : la beauté. »

Vous avec co-construit avec le pasteur Samuel Peterschmitt le livre témoignage, « La déferlante. Cette crise qui a révélé les évangéliques ». Qu’est-ce qui a motivé votre décision de vous investir dans ce projet ?

J’avais déjà pour ambition d’écrire un jour sur ce sujet : le protestantisme évangélique est très mal connu et compris et l’objet de fantasmes. Il faut dire que George W. Bush, Trump et Bolsonaro n’ont pas aidé. Pourtant l’évangélisme est passionnant, compte tenu de sa diversité et de sa complexité. C’est enfin un phénomène social, vu son expansion, et sociologique. C’est ce que je voulais explorer, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Donc quand j’ai su qu’un éditeur, Pierre Chausse de Première Partie, que je connais bien, voulais faire un livre d’entretien avec le pasteur de l’église de Porte ouverte, à Mulhouse, cela m’a intéressé. Surtout que cette assemblée était alors dans la tourmente, responsable de l’importation de la pandémie de la covid-19 – ce qui est grotesque.

La francophonie protestante a beaucoup changé en 20 ans. Comment l’analysez-vous ?

L’évolution du protestantisme francophone est très liée à l’essor de l’évangélisme, qui est très dynamique dans les pays d’Afrique subsaharienne et aux Antilles. Avec le jeu de l’immigration, cela change le visage du protestantisme français. Je ne parle évidemment pas d’origine ethnique, mais de pratiques et de théologies. Surtout que les évangéliques, en moyenne, sont plus pratiquants.

Le protestantisme évangélique, sur lequel vous avez enquêté, a le vent en poupe mais reste méconnu en France. Pensez-vous qu’il est un intrus inquiétant, ou bien une ressource pour la France de demain ?

Compte tenu de mes convictions, que je ne vous ai pas cachées, ma réponse ne sera pas très objective. Je pense que s’il existe des dérives sectaires, communautaristes ou financières, qu’il ne faut pas minimiser et qu’il faut même dénoncer avec force, l’évangélisme peut être une bonne chose. Il peut apporter un nouveau vent de spiritualité et de solidarité, dans un pays qui en manque cruellement.

Dans les débats de société, le protestantisme évangélique français, jusqu’à présent, s’est plus fait entendre sur les questions de famille et de bioéthique, que sur la question du racisme, dont vous parlez dans votre dernier livre. Comment l’expliquez-vous ?

C’est aussi vrai du catholicisme. Je pense que la libération sexuelle des années 1960/70 a été, pour beaucoup de chrétiens, le symbole que leur religion n’avait plus le pouvoir. Les récentes avancées dans la filiation et dans la procréation, liée à la technique, a été le dernier clou sur le cercueil. Pourtant, les évangiles ont tellement de choses à nous dire, dans un monde où les inégalités explosent, tout comme le repli sur soi et la haine de l’autre. Rappelons ces paroles de l’apôtre Paul : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme » (Galates 3:26-29). Un bon message universaliste. Ou sur la question des inégalités et même de l’exploitation économique, telle que la définit Karl Marx, souvenons-nous de l’épitre de Jacques : « Et vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers. » (Jacques 5:1-4)

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