Depuis l’indépendance du Vietnam réunifié en 1975, le pays a connu quarante années de reconstruction et de réorganisation sous la houlette centralisée d’un Parti Communiste omniprésent. Après un long combat contre la France de la IVe République, puis contre les États-Unis, deux puissances occidentales marquées par l’influence du christianisme, comment ont été perçues les Églises restées au Vietnam ? Et quelle place pour le protestantisme ?
Un catholicisme fortement associé à l’héritage colonial
Le christianisme encore dominant en 1975 reste le catholicisme, dont tous les séminaires sont fermés sur ordre de Dôn Đức Thắng, successeur de Hô Chi Minh. Mais ce dernier va beaucoup souffrir durant les années suivantes, du poids du passé. L’Eglise catholique est en effet associée, par une majorité de Vietnamiens, à la « religion du colonisateur », et ce pour trois raisons. D’une part, parce que la conquête du Tonkin s’est en partie effectuée au motif de protéger le catholicisme local. D’autre part, parce que les autorités coloniales françaises, durant sept décennies, ont largement appuyé le développement catholique. Enfin, parce que le catholicisme a constitué un ciment du Sud-Vietnam (particulièrement du régime Diem) soutenu par les Américains, lors de la seconde guerre d’indépendance.
Le protestantisme, démographiquement moins important, a bénéficié d’une image plus nuancée. Il est certes considéré comme le christianisme dominant des Américains, haïs par beaucoup au terme d’une guerre effroyable durant laquelle des régions entières ont été passées au napalm… Mais contrairement au catholicisme, il n’a pas joué de rôle de premier plan durant les guerres d’indépendance. S’appuyant sur les travaux de X.H. Nguyen, Jean-Paul Willaime rappelle qu’au Nord, le président Hô Chi Minh avait proposé dès 1945 au pasteur Parson Lê Van Thai que le protestantisme serve “au salut national”. Le pasteur avait alors répondu que “le protestantisme ne faisait pas de politique”. Slogan sage…
Une « religion de la bonne nouvelle » (Dan Tin Lanh)
Peu nombreux, les protestants vietnamiens sont majoritairement restés à l’écart des luttes politiques et idéologiques. Au Vietnam du Nord, ils adoptent une attitude de soutien prudent au nouvel ordre mis en place. Les statuts de la Mission protestante vietnamienne (Nord-Vietnam) indiquent ainsi : “La mission protestante a pour tâche d’éduquer au patriotisme des croyants, à leur devoir de citoyen, au sens du respect des autorités du peuple et de la loi de la République Démocratique du Vietnam; la Mission protestante, de concert avec toute la population, unit ses efforts pour bâtir la paix, l’unité, l’indépendance, la démocratie, la prospérité et la force de la patrie vietnamienne”(1) (1963).
Dans le même temps, au Sud, jusqu’en 1963, les communautés protestantes ont même été accusées de propagande communiste et de manque de soutien au gouvernement Diem, très fortement teinté de catholicisme ! Après la réunification vietnamienne, le protestantisme, généralement désigné sous le nom de Dan Tin Lanh (religion de la bonne nouvelle), s’est appuyé sur sa capacité d’adaptation aux langues locales. Historiquement marqué par l’importance de transmettre la Bible dans les langues du peuple, le protestantisme vietnamien, toujours discret, s’est mis au diapason d’une nouvelle donne marxiste peu favorable aux religions. Il a trouvé un accueil particulièrement favorable au sein des minorités ethniques des Hauts-Plateaux, notamment les Hmongs, qui connaissent de larges mouvements de conversion.
Une francophonie qui s’estompe sans disparaître
Mais où est passée la dimension francophone, héritée du passé ? Elle s’estompe, mais sans disparaître. Durant les premières années de déploiement de l’appareil communiste dans l’ensemble du Vietnam unifié, francophonie et christianisme restent associées à l’héritage colonial. Pour cette raison, l’heure est à la mise à distance. Mais le fragile protestantisme vietnamien, qui s’est adapté aux langues vernaculaires du pays, s’en est accommodé, sans perdre tout lien avec l’univers francophone. La diaspora vietnamienne, nourrie par les afflux de boat-people, contribuera beaucoup à ce maintien de la langue française comme vecteur de communication, voire de communion. La lente routinisation du Vietnam post-révolutionnaire apaise par ailleurs peu à peu, à l’intérieur, les blessures du passé.
Ce qui permettra, à partir des années 1980, une (ré)ouverture croissante vers la France, comme l’illustre, à partir de 1988, l’investissement missionnaire du pasteur français Roland Cosnard (1933-2012). Ce dernier a été surnommé « apôtre du Vietnam »(2) en raison d’une oeuvre d’un quart de siècle qui ouvre une page nouvelle dans l’histoire la francophonie protestante vietnamienne.