L’Église Vases d’Honneur, basée en Côte d’ivoire, représente aujourd’hui un vivier des recompositions postcoloniales du christianisme en francophonie. Décryptage.
Conduite par le pasteur et apôtre Mohammed Sanogo ainsi que la pasteure Liliane, son épouse, entourés d’une équipe très mobilisée, elle fait preuve d’une attractivité exceptionnelle, sur fond de changement social et culturel en l’Afrique de l’Ouest.
Vous voulez retrouver les critères d’un Réveil chrétien postcolonial, prosélyte et conquérant ? Bienvenue à l’Église Vases d’Honneur. A partir de son pôle principal, situé à Abidjan (centre Kodesh, quartier de Cocody), elle coche toutes les cases : conversion, création d’Églises locales, impact social et dynamique endogène, Sud-Sud et Sud-Nord.
Cette ambitieuse Église ivoirienne du XXIe siècle, principalement francophone, regroupe aujourd’hui un réseau d’assemblées locales en Afrique de l’Ouest et sur trois continents.
Née en Côte d’Ivoire en 2002 à partir d’un ministère évangélique d’évangélisation préexistant, nommé Message de Vie, sa base principale reste ivoirienne, mais l’objectif affiché est l’expansion transnationale. C’est à un ancien musulman, Mohammed Sanogo, assisté de son épouse Liliane, que l’on doit l’origine de cette œuvre chrétienne postcoloniale. Converti « à Jésus-Christ » à partir d’une éducation musulmane, Mohammed Sanogo se reconnaît dans une foi holistique où doctrine et miracle, parole et guérison, se complètent. Issu d’une famille aisée où la proximité des livres fait partie de la vie quotidienne, Mohammed Sanogo est doté d’un robuste « capital social » et manifeste un goût, jamais démenti, pour l’étude, l’argumentation, la pédagogie. Tout cela, doublé d’une énergie rare, reconnue et saluée y compris par ses adversaires. Autant d’atouts qu’il jette dans l’aventure. Revendiquant un « appel divin » impérieux, il troque ses études de géomètre pour l’aventure incertaine de la mission chrétienne. C’est décidé, il se lance « au service de Dieu », n’en déplaise aux plans tout tracés pour ce fils de bonne famille.
L’entreprenariat missionnaire de ‘Messages de Vie’
Dans une Côte d’Ivoire marquée, depuis les années 1980, par une récession qui aboutira aux violences et au coup d’État militaire de Noël 1999, le paysage religieux change. La fin de l’ère Houphouët Boigny est un marqueur. Le père fondateur de la Côte d’Ivoire indépendante décède le 7 décembre 1993. Une page se tourne, les cartes sont rebattues. Le catholicisme, toujours dominant au Sud, côtoie désormais de plus en plus d’Églises de type évangélique, pentecôtiste, prophétique, indépendantes et africaines. La souplesse de ces dernières, le rôle qu’elles acceptent de donner aux femmes, leur manière de démocratiser l’accès à la Bible et au surnaturel miraculeux séduisent, en dépit des dérives possibles.
Le temps est aux recompositions postcoloniales de la religion, qui voient la promotion de ministères locaux, à commencer par celui de Kacou Séverin (1968-2001), ancien étudiant à la faculté de droit d’Abidjan, devenu prophète chrétien respecté, à la tête du Ministère de la Puissance de l’Évangile (MPE). Au fil d’une trajectoire exceptionnelle, Kacou Séverin se montre en mesure de « couler progressivement son charisme dans une nouvelle forme d’organisation du travail évangélique, non plus institutionnelle et routinière, mais entrepreneuriale et transnationale » (1). C’est dans ce contexte que les débuts d’évangéliste du jeune Mohammed Sanogo s’effectuent à l’intérieur la mouvance pentecôtiste ivoirienne, qui met l’accent sur l’efficacité de l’Agir divin via la troisième personne de la trinité chrétienne, le Saint-Esprit. Glossolalie (parler-en-langues), guérisons, prophéties accompagnent l’enseignement et l’évangélisation.
Rattaché, au départ, aux Assemblées de Dieu (ADD), navire amiral du pentecôtisme, Mohammed Sanogo s’autonomise, à l’image d’autres parcours comme celui de Mamadou Karambiri au Burkina Faso voisin. Les appuis, au départ, ne sont pas légion. Mais le voici qui crée en 1998 sa propre organisation, ‘Messages de Vie’, dont la raison d’être avouée est la diffusion de l’offre de salut chrétienne, dans une perspective holistique où le « message » (doctrine chrétienne évangélique) est appelé à transformer et guérir la vie physique et sociale des auditrices et auditeurs qui se pressent aux réunions. Éloquent, entreprenant, ouvert au travail d’équipe – à commencer par une collaboration étroite avec son épouse Liliane -, Mohammed Sanogo est par ailleurs connu et apprécié pour son dynamisme proverbial. Il en a bien besoin, car ses emplois du temps débordent… Serait-ce à l’image des vases de la noce de Cana, qui selon le récit biblique de l’Évangile de Jean, auraient été remplis de vin nouveau ? Nombre de soutiens de cette Église n’hésiteraient pas à développer cette métaphore. Quant aux détracteurs ou aux sceptiques, ils s’interrogent, de leur côté, sur la recette. Mais comment comprendre une telle réussite ?
Déborder sur la francophonie : Vases d’Honneur (2002)
Il faut dire qu’année après année, malgré les obstacles, les campagnes d’évangélisation font le plein, et la réputation de Message de Vie grandit. Le couple Sanogo et leur équipe s’inscrivent dans la durée, se crédibilisent. Ils participent à la co-construction d’une société ivoirienne du XXIe siècle où religion et essor économique et social se conjuguent. Et au fil des initiatives prosélytes, la vision de départ, orientée en priorité sur des opérations d’évangélisation itinérantes et ciblées, s’est étoffée. Dans un paysage ivoirien secoué par des crises politiques, en quête de perspectives, l’idée vient de sédimenter l’œuvre autour d’assemblées chrétiennes locales pérennes. A l’itinérance missionnaire, destinée à élargir le cercle des convertis, s’ajoute désormais l’idée d’une implantation durable pour des disciples, vouée à accompagner les « nées et nés de nouveau » dans une formation continue. Le cap s’affirme peu à peu : c’est désormais la nation ivoirienne, et, au-delà, les nations dans leur ensemble, qu’il s’agit d’influencer via une offre chrétienne structurante, appuyée sur un réseau de communautés locales.
C’est ainsi qu’en 2002, l’aventure d’implantation d’Églises locales commence. Le parapluie confessionnel est baptisé « Vases d’Honneur », en référence à des textes bibliques comme le second épître à Timothée (2). Appuyé sur une solide expérience, un management exigeant et sur un réseau en croissance, Mohammed Sanogo et son épouse mettent en place, en quelques années, une Église ivoirienne de type évangélique et pentecôtiste, centrée sur l’enseignement, la conversion, la délivrance et la croissance.
Invité en 2014 pour deux émissions par Radio France Internationale (RFI), le pasteur fondateur de Vases d’Honneur saisit l’occasion pour préciser, sur les ondes, son credo pastoral. Il reprend les codes évangéliques axés sur la « nouvelle naissance », tout en posant une limite claire : pas de culte de la personnalité, pas de dérive de l’autorité personnelle. Dixit : « Tant qu’une Église, tant qu’un pasteur, un prédicateur, dit ce qui est écrit dans la Bible, ne se prêche pas lui-même, ne se présente pas en terme de gourou ou de chemin pour atteindre Dieu, voilà, et qu’on se concentre sur ce que dit Jésus et sur ce que dit la Bible, les vies sont changées, les cœurs sont transformés » (3). Couplée avec une stricte discipline collective vouée à l’expansion missionnaire, cette ligne de conduite militante paie. Il faut dire qu’elle bénéficie, sur la durée, des talents de pédagogue biblique du pasteur Sanogo. N’économisant pas son temps, il déploie, au fil des années, des cycles de prédication nourris, longs, approfondis, étayés par de remarquables capacités rhétoriques et des publications dévotionnelles qui complètent la pédagogie déployée en chaire (4).
En semaine, l’Église déploie une gamme copieuse d’offres d’accompagnement, appuyée sur une culture de la formation permanente qui responsabilise les fidèles. Investissement personnel et engagement financier sont sollicités, sans, langue de bois, avec l’optique de réinvestir dans la croissance de l’œuvre. Certains n’accrochent pas. Ils viennent une fois, deux fois, puis repartent, sceptiques. Mais la plupart des fidèles en redemandent.
En 21 ans, l’Église Vases d’Honneur a multiplié les implantations à Abidjan (où se tient sa megachurch du Centre Kodesh), dans tout le pays et à l’international, jusqu’à Paris et Washington. Depuis la Côte d’Ivoire, elle déborde sur la francophonie, et au-delà.
Né en 2002, ce nouveau vivier chrétien en Côte d’Ivoire fait école. L’offre de salut est couplée à une pédagogie de la réussite qui valorise le don, l’investissement, la formation. En affinité avec les classes moyennes ivoiriennes, en croissance, qui plébiscitent cette Église qui « met les moyens » et valorise, sans complexes, l’ascension sociale.
La mise en place et l’essor de l’Église Vases d’Honneur ne se départit pas pour autant de la visée évangélisatrice, vers tous les publics (en particulier les plus défavorisés). Ce qui renvoie l’image d’une complémentarité forte, qui peut passer pour une dualité, entre deux pôles d’activité. D’une part, des assemblées locales, que d’aucuns comparent parfois à un club chrétien d’entreprise ou un centre motivationnel, tournées surtout vers les classes moyennes, et, d’autre part, des voyages missionnaires soutenus par Messages de Vie. Là, le public est bien différent. On vise des espaces relégués, réputés difficiles, en direction de populations en grande souffrance économique et sociale. En complément des implantations d’assemblées Vases d’Honneur, la projection du ministère Messages de Vie ne ralentit pas, avec des opérations d’ampleur en francophonie, et même en anglophonie : en témoignent par exemple ces campagnes en République Centrafricaine (février 2017), Haïti (janvier 2018), Libéria (novembre 2021), Togo (novembre 2022). Jusqu’où iront Vases d’Honneur et ‘Messages de Vie’ ?
Dans un prochain entretien en deux volets, le pasteur Mohammed Sanogo nous en apprendra plus. A suivre sur ce Fil-info…
(1) Damien Mottier, « Prophétisme et pentecôtisme africains en migration », Cahiers d’Études Africaines, 2017/4 (n°228), p.973-992
(2) « Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a aussi de bois et de terre; les uns sont des vases d’honneur, et les autres sont d’un usage vil. Si donc quelqu’un se conserve pur, en s’abstenant de ces choses, il sera un vase d’honneur, sanctifié, utile à son maître, propre à toute bonne œuvre » (Bible, 2 Timothée 2, 20-21, trad. Second)
(3) Dixit Mohammed Sanogo, volet n°2 de l’émission « Les sectes en Afrique noire », Radio France Internationale (RFI), publié le 13 avril 2014 online, avec Alain Foka, Mohammed Sanogo, Maître Bobos, Modibo Bachir Walidou, Dr Nioutanga; après 5′ 7″ sur Youtube.
(4) Par exemple, le coffret Mohammed Sanogo, « Pleinement béni », douze volumes publiés en 2021 et 2022, Abidjan, aux éditions Ecki Publications