La mémoire de ce dernier reste vivace aujourd’hui à Managua.
Maquisards contre junte militaire : depuis Tintin et les Picaros (Hergé, 1976), l’image des guérilleros d’Amérique latine en lutte contre un gouvernement corrompu s’est popularisée auprès des lecteurs francophones. Elle a été nourrie ensuite par l’héroïsation marketing de Che Guevara, et porte, il faut bien le dire, une part de vérité.
Car des régimes autoritaires oppresseurs, l’Amérique latine en a compté plus qu’à son tour ! Le Nicaragua en est un exemple fort avec la féroce dictature Somoza, renversée en 1979 par la révolution sandiniste. Cette épopée a été marquée par l’empreinte discrète mais durable… d’un théologien protestant français, Georges Casalis.
Pays d’Amérique centrale d’un peu plus de 6 millions d’habitants, le Nicaragua partage de nombreuses problématiques sociales et politiques avec ses voisins latino. Mais une de ses particularités est la relative modération du courant révolutionnaire de gauche qui a repris le pouvoir en 1979. La révolution sandiniste, portée notamment par Daniel Ortega (toujours président élu en 2019) ne s’est certes pas faite avec des roses. Mais, les armes à la main, elle a cherché avant toute chose à promouvoir l’éducation populaire et un meilleur partage des richesses, non sans s’inspirer du christianisme social. Telle est une des raisons de la longévité de l’option sandiniste, défendue par un Daniel Ortega, président plusieurs fois réélu. Ortega est positionné aujourd’hui sur une ligne semi-autoritaire de centre gauche… qui prend depuis peu un virage répressif préoccupant qui tranche avec la ligne longtemps tenue : priorité aux aspirations de justice d’une population qui lutte contre la pauvreté.
Pays doté du plus faible taux d’homicides d’Amérique centrale, et d’un système éducatif performant, le Nicaragua a bénéficié depuis 1979, dans son effort de rénovation sociale, de l’appui de comités français de soutien dont le premier président a été… un pasteur et théologien protestant français, Georges Casalis (1917-1987). Partisan d’une théologie contextualisée influencée par le marxisme, fer de lance d’un christianisme social ouvert à l’engagement politique, Georges Casalis a très activement participé, depuis 1979, à l’enseignement de la théologie à la Faculté Protestante de Managua, capitale du Nicaragua. C’est à Managua qu’il décède le 16 janvier 1987, après avoir laissé une marque profonde dans le pays. Casalis s’était investi dès 1973 à l’INODEP (Institut Œcuménique au service du Développement des Peuples), fondé par le Brésilien Paolo Freire, apôtre de la conscientisation politique et sociale du petit peuple opprimé. Très investi dans la formation et les échanges avec le milieu pastoral du pays, Georges Casalis prônait une éducation théologique révolutionnaire, fondée sur une approche inductive [1] qui part des besoins sociaux des plus faibles. Dans cette perspective, il fonda en 1982 la Faculdad Evangelica de Estudios Teologicos, devenue plus tard (1994) la Universidad Evangelica Nicaraguense Martin Luther King Jr. On doit au spécialiste Jean-Pierre Bastian[2] , dans une étude détaillée, d’avoir exhumé à quel point le pasteur francophone Georges Casalis est resté, au Nicaragua, une figure appréciée, dont la mémoire est toujours entretenue aujourd’hui, 40 ans après la Révolution sandiniste. Il décrit ainsi l’attachement mémoriel porté à l’héritage intellectuel, théologique et moral du pasteur français au Nicaragua :
Casalis, « Saint, héros et prophète sandiniste »
« L’ouverture annuelle des cours de théologie commence par une chaire baptisée « Georges Casalis » à l’occasion de laquelle les participants se rendent en pèlerinage sur sa tombe, hommage qui prend régulièrement un relief particulier lorsque des enseignants de la Faculté de théologie protestante de Paris et/ou des délégations protestantes françaises y participent. Afin de perpétuer sa mémoire, au premier étage de la bibliothèque qui porte son nom, au cœur d‘une mezzanine-sanctuaire consacrée à sa figure, se trouve une sorte de reliquaire sous forme de petite armoire vitrée à deux étages dont l’objet le plus symbolique sont ses sandales, exaltation de l’humilité prophétique du révolutionnaire engagé au côté du peuple ».
On trouve aussi dans cet endroit des ouvrages de Casalis traduits en espagnol, ainsi que l’original de sa thèse de doctorat en théologie (1969), soutenue à Strasbourg. Jean-Pierre Bastian parle d’un quasi « culte de la figure d’un théologien français érigé en saint, héros et prophète sandiniste ». A minima, on pointera en tout cas la force de l’attachement local à une figure de cristallisation d’un lien inédit entre protestantismes du Nicaragua et de France. Entre hispanophonie et francophonie, Jean-Pierre Bastian précise :
« Cette avancée protestante française en Amérique centrale ne fut pas sans réciprocité, puisque le pasteur Cortès fut reçu au milieu des années 1980 à Noyon, siège du musée Calvin dont Casalis était alors le conservateur retraité et que, subjugué par la Croix huguenote qu’il découvrit à cette occasion, il en reprit l’emblème pour l’Universidad Evangélica nicaraguense Martin Luther King Jr. . C’est ainsi que l’un des plus puissants symboles protestants français rayonne aujourd’hui sur une des trois « universités protestantes » du pays »[3]
Organe missionnaire du protestantisme de France, le DEFAP poursuit aujourd’hui des liens de collaboration privilégiés avec le Nicaragua. Des échanges qui doivent presque tout à l’ardeur visionnaire d’un pasteur français sans frontières, Georges Casalis.
[1] Cf. son livre le plus fameux, Les idées justes ne tombent pas du ciel. Eléments de « théologie inductive », Paris, Cerf, 1977.
[2] Jean-Pierre Bastian, Le protestantisme en Amérique latine : une approche socio-historique, Genève, Labor et Fides, 1994.
[3] Jean-Pierre Bastian, « Le protestantisme français et l’Amérique latine, entre logique de vérité et logique de performance », in Fath & Willaime (ed.), La nouvelle France protestante, essor et recomposition au XXIe siècle, Genève, Labor et Fides, 2011.]