En ouvrant sa première édition par l’interprétation d’un groupe non hexagonal, venu du Québec (Canada), le premier opus des Angels Music Awards a lancé un signal fort : point de repli hexagonal, cap sur l’ouverture francophone. Mais pourquoi, et au service de quelle vision ?
Le concept des Angels Music Awards vient d’une idée d’Antoine Clamagirand, laïc catholique mélomane, ancien manager du groupe de pop-louange Glorious et très investi dans la « nouvelle évangélisation » lancée par le pape Jean-Paul II. L’idée était de valoriser, lors d’un événement annuel, le meilleur de la « musique chrétienne », à l’image de ce qui est fait pour le tout venant musical (variété française) au travers des Victoires de la Musique (créées en France en 1985).
Qualité musicale de la christianosphère francophone
Pour réaliser ce projet ambitieux, coûteux et risqué, Antoine Clamagirand s’est entouré de Jean-Baptiste Fourtané et Marc Brunet, respectivement fondateurs du Festival de Pâques et de la maison de production « Sephora, la musique pour la Vie » (rebaptisé dernièrement Paul et Séphora). Marc Brunet apporte avec lui la dimension protestante évangélique, et une expertise reconnue dans le domaine de la valorisation d’artistes chrétiens depuis 1978 (date de création de Séphora Music). Tous trois ont uni leurs compétences et leurs réseaux pour imaginer, puis mettre en place, les premières récompenses de « musique inspirée » (d’expression chrétienne), afin de promouvoir auprès du grand public les avancées qualitatives d’une production musicale chrétienne francophone en plein essor.
Ce type de manifestation, ciblée en priorité pour le marché chrétien (amateurs de musique exprimant la foi chrétienne), existait déjà sous d’autres cieux. Aux Etats-Unis, les Dove Awards (DA) fonctionnent depuis 1969, sous l’égide de la puissante Gospel Music Association (GMA). Le 13 octobre 2015, la 46e édition a récompensé, comme chanson de l’année, « Oceans (Where Feet may fail) » du groupe australien Hillsong. Les interprètes de musique chrétienne africaine sont quant à eux récompensés depuis l’année 2010 au travers des Africa Gospel Music Awards (AGMA), organisés à Londres au mois d’août. Le « groupe de l’année », lors de la dernière édition (août 2014), était l’ensemble sud-africain Loveworld Music Ministry (Durban).
Grâce à la persévérance et à l’expertise du trio œcuménique Clamagirand/Fourtané/Brunet, les Angels Music Awards (AMA) s’inscrivent désormais dans le paysage au côté des DA et des AGMA. Depuis le 17 octobre 2015 au soir, au terme d’une cérémonie dynamique, chaleureuse et variée, ces « Victoires de la musique » version christianosphère ont concrétisé avec panache ce projet mûri de longue date, et posé la première pierre d’un édifice à long terme, visant à valoriser, pérenniser et amplifier le patrimoine créatif musical chrétien francophone, dans sa diversité de styles, de spiritualités et de cultures.
Franco-centrisme évité
Trois pièges menaçaient la réussite de l’initiative : le risque d’amateurisme, le cathocentrisme et le francocentrisme. Les trois écueils ont été évités haut la main. Dans une salle prestigieuse, avec un équipement dernier cri et une équipe d’animateurs professionnels et souriants, la cérémonie s’est déroulée, salle Wagram, à un niveau de qualité digne de ses équivalents mainstream. Les bugs techniques ont été minimes. La qualité du rendu sonore, un peu défaillante au début (micro), a été corrigée rapidement. L’équipe d’organisation, à dominante catholique, a par ailleurs très généreusement ouvert ses bras, ses listes et ses récompenses au milieu protestant évangélique, porteur il est vrai d’une certaine expertise en matière de « musique chrétienne ». A la fois dans les groupes qui ont chanté en « live », dans les primés (dont le dijonnais Matt Marvane, album de l’année pour « Noirs et blancs ») et dans les invités, les protestants évangéliques ont été intégrés, accueillis, valorisés, dans une dynamique oecuménique en profondeur. Et comme tout élan commun part d’un point d’appui, le groupe EXO, qui n’est plus en activité aujourd’hui, s’est trouvé primé en fin de cérémonie pour l’ensemble de son oeuvre (1989-2006). Les sept albums d’EXO, sortis depuis 1995, ont en effet constitué, dans l’histoire de la « musique chrétienne francophone », une base œcuménique de référence.
Enfin, les vastes horizons de la francophonie extra-hexagonale ont été largement salués et honorés non seulement via le groupe canadien Impact, dont les deux interprétations « live » ont électrisé un public conquis, mais aussi, entre autres, par le talentueux guitariste franco-malien Ladji Diallo, la voix unique de la franco-malgache Alexia Rabé, la luxuriante polyphonie de Total Praise avec Marcel Boungou, et la prestation spectaculaire du groupe de rap franco-haïtien DiffMakerz. Sans oublier la destinataire du prix du meilleur clip vidéo de l’année : il est revenu à Jessica Dorsey (avec Mélina Ondjani) pour Bondye ou Wo, hymne créole à la réconciliation entre Antilles, Afrique de l’Ouest et Europe après les blessures de l’esclavage et du passé colonial. Balayant une très large gamme de styles incluant du reggae francilien (Les Guetteurs) et le chant liturgique polyphonique (somptueux Dei Amoris Cantores, prix du public), la cérémonie a par ailleurs gardé une tonalité chrétienne explicite, sans lourdeur confessionnelle ni auto-censure embarrassée, bien résumée par un refrain des rappeurs de DiffMakerz : « Assume ton Evangile ».