Les festivals de musique chrétienne francophone contemporaine ne sont plus une nouveauté. Ils existent, en France, au moins depuis 1972. La popularisation du Gospel francophone, qui constitue un segment spécifique de ces musiques, a peu à peu conduit à l’organisation d’événements dédiés. Avec une montée en gamme de l’offre proposée, comme en témoignent les Shine Gospel Awards. La première édition de ce gala de prestige s’annonce ce 22 décembre 2023 à la Cité Royale de Croissy Beaubourg. L’occasion d’un regard dans le rétroviseur sur l’histoire des festivals de Gospel en France et en francophonie.

Dans un communiqué de presse diffusé le 31 octobre 2023, les organisateurs des Shine Music Awards ont annoncé proposer « Une première en France : la musique Gospel Urbaine francophone sera honorée le 22 décembre 2023 à Croissy-Beaubourg, en région parisienne. Événement annoncé annuel, Shine Gospel Awards sera la première grande cérémonie prestigieuse de remise de prix qui va également révéler, susciter ou réveiller des talents artistiques du Gospel francophone. Une soirée de gala exceptionnelle suivie d’un showcase à quelques jours de Noël, en présence d’officiels de la ville et de personnalités du monde du spectacle » (1). Une première, vraiment ?

Un festival des musiques chrétiennes actuelles à Agen dès 1972

En réalité, l’événement, certes significatif, n’est pas pour autant une première. Dans le processus de valorisation progressif de la musique Gospel en France, il faut ainsi rappeler les efforts pionniers de Marc Brunet : après un démarrage dès 1978, il crée dès 1984, avec son frère Jean-Luc, la société Séphora, la musique de la Vie, qui se fait connaître par l’organisation de sept festivals de musique chrétienne contemporaine de 1983 à 1993, incluant du Gospel francophone. En vrai convaincu, il affirme : « la raison de cette activité, c’est, au départ, une vocation, un ministère » (2). Ces Festivals Sephora sont eux mêmes précédés par un Festival de musiques chrétiennes actuelles, mis en place à Agen dès 1972. Ces événements de valorisation, qui mériteraient qu’on leur consacre une étude spécifique, ont marqué une génération de chrétiens et d’amateurs de musique. Séphora Music devient rapidement (entre autres) le premier distributeur de Gospel Music en francophonie et va jouer un rôle moteur dans la viabilisation de ce nouveau milieu créatif chrétien. Diversifiant ses activités, Sephora devient Paul et Sephora en 2015, autour d’une recherche d’articulation croissante entre musique (et Gospel), spiritualité chrétienne et style de vie. A l’inverse des Shine Gospel Awards, ces premiers festivals ne sont pas toujours l’occasion d’une remise de prix, mais ils permettent d’étalonner l’offre musicale et de valoriser les meilleurs interprètes et groupes.

Premier festival Gospel à Paris dès 1994

A Paris, un premier Festival de Gospel est créé en 1994, sous l’impulsion de Narcisse d’Almeida. Ce festival est, à l’époque, un signe de temps qui changent, indiquant l’arrivée à une première maturité du genre Gospel en France (3). Organisé à l’Auditorium des Halles, au cœur de la capitale, avec de nombreux invités dont le chantre Marcel Boungou, il a été l’objet d’un album CD devenu aujourd’hui « collector ». Ce premier festival Gospel parisien ne va pas se pérénniser, mais il est relayé, depuis 2003, par le Gospel Festival de Paris organisé par les époux Jocelyne et David Goma, couple pastoral du Centre du Réveil Chrétien (CRC). De nombreuses éditions du Gospel Festival vont suivre à Paris. Là encore, l’accent n’est pas sur l’octroi de prix, mais sur la mise en avant des groupes Gospel invités. Les réseaux protestants et protestants évangéliques jouent ici un rôle croissant. Ils se sont en effet dotés, depuis le début des années 2000, d’instruments puissants de partage et de communication via internet : les portails TopChrétien  et Enseignemoi.com en sont les fers de lance et contribuent beaucoup à faire connaître la création Gospel en proposant de nombreuses vidéos et présentations d’artistes.

Quant à la capitale des Gaules, à Lyon, le festival Absolute Gospel enchante les foules depuis 2004, irriguant la région Rhône-Alpes de Gospel moderne, de Negro Spirituals, Gospel Afro et Soul Gospel. Grâce à l’exigence d’excellence et la ténacité pédagogique de la principale organisatrice, Sabine Kouli, originaire du Togo, les chorales et ensembles de qualité se multiplient, tels le Gospel Show ou l’impressionnant Lyon Gospel Mass Choir. Au début du XXIe siècle, d’autres festivals commencent à apparaître, à la fois à Paris (Festival Gospel 100% Louange qui atteint sa 3e édition en 2016) et dans d’autres grandes villes de l’hexagone. Sans compter l’organisation d’événements, de plus en plus nombreux, autour de la « musique de louange » chrétienne au sens large, qui accueillent presque toujours une part de Gospel dans leur programmation.

Angels Music Awards en 2015 et 2017

En dehors de la France, le Gospel francophone est également à l’honneur depuis plus de vingt ans lors de festivals organisés dans plusieurs pays d’Afrique francophone. L’un des premiers est le festival Gospel et Racines qui se tient au Bénin entre 2002 et 2008, et honore en particulier le groupe ivoirien Shekinah en 2002 A l’image des Shine Awards, ce festival décerne des récompenses. Fondés par l’homme d’affaire béninois Ernest Adjovi, les Kora Music Awards sont quant à eux lancés dès 1994 dans différents pays africains (Namibie, Burkina Faso, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire…). Dédiés à honorer les meilleures réalisations musicales d’Afrique subsaharienne, les Kora Music Awards comportent une section « Meilleur artiste Gospel féminine », et « Meilleur artiste Gospel masculin ». D’autres événements de ce type, en Afrique francophone, pourraient être mentionnés, jusqu’aux Gospel Music Awards organisés pour la première fois à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) en 2023. Dans les Caraïbes, dans la première décennie 2000, un Caribbean Gospel Festival est notamment mis en place en Martinique par les pasteurs Jocelyne et David Goma, de l’Église du Centre du Réveil Chrétien. Enfin, rappelons que deux éditions des Angels Music Awards, co-organisés à Paris par des catholiques et des évangéliques en 2015 (salle Wagram) et 2017 (Olympia) ont également mis à l’honneur du Gospel, avec remise de prix. Prévus pour se poursuivre tous les deux ans, les Angel Music Awards échouent (provisoirement ?) à se pérenniser.

Au vu de ces nombreuses manifestations, c’est peu dire que les Shine Gospel Awards organisés à la Cité Royale de Croissy-Beaubourg (France), le 22 décembre 2023, s’inscrivent dans un riche héritage. La volonté des organisateurs de cibler le Gospel proprement francophone, ainsi que l’ampleur du cadre dévolu à la remise des prix (un auditorium exceptionnel de 3500 places assises), annoncent une montée en gamme. Avec non seulement des interprètes de premier plan, comme Deborah Lukalu, le groupe Glorious, Big T, le Psalmiste ou Dan Luiten, entre autres, mais aussi des membres du jury réputés pour leur position centrale dans le champ du Gospel francophone, à l’image de Marcel Boungou, précurseur toujours présent, « Moïse du Gospel en francophonie ». La barre est placée haut, dans la tradition de « l’esprit d’excellence » vanté et enseigné par le couple pastoral de l’Eglise Impact Centre Chrétien (ICC). Yvan et Modestine Castanou, à l’origine de la Cité Royale, assisteront à l’événement. Reste à observer, dans les années à venir, comment ce nouveau rendez-vous destiné à honorer les chantres du Gospel francophone va, ou non, réussir à s’imposer comme la référence qu’il aspire à devenir. Le monde évangélique francophone est rempli d’initiatives démarrées tambour battant, puis qui s’étiolent et disparaissent. C’est la maladie de la « créationnite » à tout va : des initiatives accompagnées de superlatifs et de grandes ambitions, qui ne résistent pas à l’épreuve du temps. Beaucoup de festivals, avec ou sans remise de prix, ont ainsi disparu après seulement quelques éditions. La même observation vaut pour des opérations de valorisation comme le magazine de prestige On est ensemble. Lancé avec éclat en avril 2021 par une équipe ultramotivée soutenue par Progressif Media, il s’est arrêté après quelques numéros.

Qu’adviendra-t-il, dans quelques années, de ces Shine Gospel Awards lancés le 22 décembre 2023 ?

Comment réagira la concurrence ? A ce stade, les espoirs d’une réussite durable sont permis, et les moyens engagés s’annoncent exceptionnels. A condition d’éviter les nombreux pièges qui menacent la pérennité de ce type d’événement, les Shine Gospel Awards pourraient ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire des événements Gospel dans la francophonie,  avec les yeux fixés sur ce cap rappelé par Crystelles Yohou (lire son interview dans ce Fil-info francophonie) : faire des Shine Gospel Awards  » le rendez-vous incontournable des ambassadeurs de la musique Gospel ». A suivre.

(1) « Shine Gospel Awards », communiqué de presse, 31 octobre 2023.

(2) Marc Brunet, « Les musiques de la vie », interview 2010, émission ZeMag animée par Anne-Laurence Piquet et Paul Ohlott (mise en ligne le 14 juin 2010) sur le site http://www.zebuzztv.com/.

(3) Pour une mise en perspective générale, voir Sébastien Fath, Gospel et Francophonie, une alliance sans frontière, Tharaux, ed. Empreinte Temps Présent, 2016.