Cette année 2022 marque les vingt ans de la méga-Eglise Impact Centre Chrétien (Boissy-Saint-Léger, dans le Val-de-Marne), conduite par les pasteurs Yvan et Modestine Castanou. L’occasion d’un coup d’œil rétrospectif avec la série « ICC, 20 ans, et après ? La fabrique d’une rechristianisation postcoloniale ».
Impacter. C’est l’obsession des pasteurs Yvan et Modestine Castanou (depuis la France métropolitaine), et Yves et Habi Castanou (depuis le Congo Brazzaville). Ils sont aujourd’hui parmi les principaux ténors de la francophonie chrétienne. Bien au-delà des cercles protestants évangéliques, auxquels ils appartiennent, l’ampleur de leur entreprenariat missionnaire chrétien fascine. Ils incarnent le (néo)pentecôtisme d’excellence (1). Leurs Eglises, leur enseignement, leur pédagogie de la foi, de la résilience et de la réussite leur ont gagné une notoriété considérable, qui contraste avec le peu de travaux académiques pour l’instant consacrés à leur ministère. Entre admiration, interrogations et jalousie, nombreux sont les regards portés sur « les frères Castanou », jumeaux tous deux investis dans l’apostolat chrétien.
La marque la plus visible de ce militantisme prosélyte, c’est la megachurch évangélique Impact Centre Chrétien (ICC).
Basée pour l’instant à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne, France), elle fête en 2022 ses vingt ans. Issue d’un petit groupe de maison qui a commencé avec moins de vingt personnes, cette Eglise aujourd’hui multi-sites est née en 2002. Elle tient son origine dans une frustration combinée à une révélation. La frustration ? Elle vient d’un ressenti : à l’orée du XXIe siècle, l’offre chrétienne revivaliste dans la francophonie, particulièrement dans l’hexagone, paraît alors bien maigre. Et la « précarité protestante » finement analysée dix ans plus tôt par le sociologue Jean-Paul Willaime paraît toujours d’actualité. Le pasteur Yvan Castanou et son épouse Modestine s’interrogent.
Ce couple atypique et séduisant, aujourd’hui emblématique du christianisme postcolonial francophone, est issu de grandes familles de la République du Congo (dit Congo Brazzaville), tout comme Yves (frère jumeau d’Yvan) et Habi (l’épouse d’Yves). Désireux de s’investir dans le ministère chrétien, Yvan et Modestine estiment, au début de ce XXIe siècle, que la francophonie protestante manque de souffle. Elle leur paraît anémiée, sans grande ambition, à la traîne de l’anglophonie évangélique. La frustration est bien là. A l’occasion d’une conférence chrétienne organisée en 2001 par le pasteur nigérian (ex-musulman) Matthew Ashimolowo, à la tête de la megachurch pentecôtiste Kingsway International à Londres (initiée en 1992), le déclic se fait. L’ambition et la qualité de ce que propose le ministère chrétien d’Ashimolowo inspirent le couple Castanou.
Les voilà convaincus de s’investir pour faire monter en gamme l’offre chrétienne francophone. Une lettre est envoyée. A la réponse encourageante du pasteur Ashimolowo, l’élan est donné. Yvan et Modestine, qui ont déjà derrière eux un solide cursus de formation, attendent révélation et confirmation. « Tant que Dieu ne m’a pas parlé, on ne bougeait pas », rapporte Yvan Castanou dans un interview donné en 2017 (2). Info ou intox ? Le couple, en tout cas, n’en démord pas, et leur zèle est contagieux. Yvan Castanou, sur la base d’une révélation qu’il affirme venue de Dieu, s’investit sans compter : le régime d’intensité du Croire atteint la ferveur mystique, sans perdre pragmatisme opérationnel qui conduit à la recherche d’un terrain favorable. C’est en île-de-France que le couple va poser les bases d’une Eglise locale christo-centrée fondée sur les principes de « l’excellence » et de « l’honneur ».
Le saut dans l’inconnu (2002)
Les temps ne sont pas si favorables. Un an après les attentats du 11 septembre, la société française est inquiète. Pour la première fois, l’extrême droite arrive au Second Tour des Présidentielles 2002 – réélection de Jacques Chirac face à Marine Le Pen -. Yvan et Modestine Castanou ne s’en laissent pas conter. Une ascèse militante sans faille est mise au service de la puissance surnaturelle prêchée, à savoir le Dieu trinitaire des chrétiens. Yves Castanou (frère jumeau) et son épouse Habi s’associent à l’entreprise et la soutiennent, mais leur appel principal est pour le Congo. C’est à Yvan et Modestine que revient de conduire l’implantation de l’Eglise en France métropolitaine.
Les débuts sont difficiles. C’est un saut dans l’inconnu. Les Noirs, en France, restent souvent sous la coupe d’un regard paternaliste, y compris au sein des instances chrétiennes. L’immigration sub-saharienne, plus récente que l’immigration maghrébine, n’a pas encore construit de réseaux métropolitains solides. Par ailleurs, les évangéliques dans leur ensemble représentent encore moins d’1% de la population française, même s’ils sont passés « du ghetto au réseau » (3). La presse hexagonale, aussi lente à dénoncer la corruption politique que prompte à accabler les pasteurs à succès, est en embuscade. Et la tradition protestante du pays, marquée par une longue histoire de persécutions, est habituée à faire profil bas. Le surnaturel, la piété démonstrative, l’évangélisation à ciel ouvert ? Point trop n’en faut. L’appel des Castanou tranche avec ce climat. Porteurs d’un message de fierté, d’ambition et d’émancipation postcoloniale, le couple pastoral refuse « les habits de victime » (4). Il s’investit avec une détermination sans faille dans l’implantation d’une Eglise qui reflète sa vision. L’adoration, la louange, la prière, l’apostolat, l’engagement, y compris financier, sont mis en avant, avec des conducteurs qui donnent l’exemple. Les réseaux revivalistes francophones se montrent attentif à cette initiative jugée sérieuse, crédible, prometteuse. Et ça marche.
Capital de crédibilité, tremplin pour la megachurch (2012)
Le cénacle protestant français, quelque peu incrédule, observe avec étonnement l’essor de cette Eglise de Réveil atypique, qui draine de nombreux fidèles franciliens, en majorité issus des migrations postcoloniales. Beaucoup sont sceptiques. Les coups bas ne manquent pas. Peu encouragent ouvertement l’implantation nouvelle. André Thobois (1924-2012), longtemps vice-président de la Fédération protestante de France, est de ceux-là. Avec le pasteur franco-haïtien Emmanuel Toussaint, il consacre Yvan et son épouse Modestine pasteurs en 2004. En quelques années, à partir d’une cellule de maison réunie dans leur domicile et d’un travail pastoral de tous les instants, l’Eglise Impact Centre Chrétien (ICC) grandit. Sans chercher la lumière médiatique, les Castanou s’investissent de toute leur force, s’intègrent dans les réseaux protestants déjà existants, et accumulent un capital de crédibilité auprès des fidèles. 200, 300, 500, 900, la communauté grandit. A tel point qu’elle est déjà mentionnée, dans Dieu XXL, La révolution des megachurches (ed. Autrement, 2008), comme une des Eglises à suivre, avec déjà plus de 700 fidèles rassemblés chaque semaine, pour un lieu de culte de seulement 290 places à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).
En 2008, grâce à l’appui de la Fondation du Protestantisme qui se porte caution, l’Eglise ICC déménage et devient propriétaire de nouveaux locaux, à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne).
Quatre ans plus tard, portée par une dynamique de croissance continue, elle atteint les 2000 fidèles hebdomadaires sur son siège principal. En 2012, le seuil permettant de définir une megachurch est atteint. L’Eglise Impact Centre Chrétien a par ailleurs amorcé une implantation multi-sites dans l’hexagone, mais aussi en Suisse, au Québec, au Congo, aux Antilles : une nouvelle étape s’ouvre.
(à suivre)
(1) Pamela Millet-Mouity, « La Terre promise à rebours et le néo-pentecôtisme d’excellence », in Odile Hamot (dir), Terre(s) promise(s) Représentations et imaginaires, Paris, Classiques Garnier, 2021, p.277-295
(2) Interview exclusive du pasteur Yvan Castanou par le pasteur Meteta Landu à ICC Cergy-Pontoise, 23 janvier 2017 , chaîne YouTube Yvan Castanou TV (online)
(3) Sébastien Fath, Du ghetto au réseau, Le protestantisme évangélique en France, 1800-2005, Genève, Labor et Fides, 2005
(4) La formule est de Maïte Maskens, Cheminer avec Dieu, pentecôtismes et migrations à Bruxelles, ed. Université de Bruxelles, 2013