Dans le roman éponyme de Marie Ndiaye, prix Goncourt 1999, elles disent non au fatalisme, au déterminisme social. Dans et autour des Églises, elles bougent les lignes, à partir d’une expression privilégiée, la prophétie. Au contraire du discours prescrit par les clergés institués, la voix prophétique s’inscrit en marge. Elle bouscule les codes, les hiérarchies établies. Dans un monde dominé par les hommes, des femmes se sont emparées de cette voix pour changer les choses. La scène chrétienne congolaise, portée par une très riche tradition prophétique, nous en propose de multiples exemples.

Le paysage des Eglises d’expression africaine en France, aujourd’hui, doit beaucoup à l’une de ces prophétesses du Réveil, Maman Ntumba. Grâce à des travaux comme ceux de Bernard Boutter, Sara Demart, Damien Mottier, on commence à mieux cerner son itinéraire exceptionnel. Maman Ntumba est une figure pionnière et singulière d’un mouvement de « féminisation de l’autorité »[1] qui marque, à des degrés variables, les Eglises d’expressions africaines. La seule évocation de son nom réveille des souvenirs puissants au sein de deux générations de pasteurs congolais et franco-congolais. Femme de Réveil, militante de la conversion et du combat spirituel, elle est à l’origine de nombreuses vocations pastorales et constitue aujourd’hui une figure de référence, souvent admirée, parfois crainte ou pointée du doigt. Qui était cette femme ? Son parcours se décompose en deux phases.

La première séquence de son ministère se déploie entre sa conversion et son arrivée en France. Les rares matériaux biographiques dont on dispose, grâce à l’organisation missionnaire, qu’elle a fondée, lèvent le voile sur son parcours revivaliste transnational. Congolaise (RDC), elle naît le 8 août 1950 dans la province de Kasaï-Occidental, à Benaleka (territoire de Demba, disctirct de la Luala). Dotée d’une énergie peu commune et d’un charisme spectaculaire, elle grandit à l’écart des églises protestantes, très minoritaires, qui encadrent une partie de la population. Elle se forme, devient hôtesse de l’air[2]. C’est à l’âge de 23 ans qu’elle s’affirme se convertir « au christianisme », sans étiquette, via les premières Eglises de Réveil qui commencent alors leur déploiement fulgurant dans l’espace congolais. Nous sommes en 1973. Le catalyseur de sa conversion ? Mzee Aidini Abala, le « Moïse » des Églises de Réveil, fondateur de l’Eglise FEPACO (Nzambe-Malamu, litt, « Dieu est bon »). Pour celle qui va devenir « Maman Ntumba », c’est une révélation. Sa vie n’est plus la même. Dès 1974, la voilà consacrée évangéliste. Avide d’apprendre, elle met aussitôt en pratique, prêche, visite, exhorte.

« Toi, tu vaux mieux que 10.000 hommes »

Dans un texte autobiographique, elle souligne : « Je suis la première femme que Dieu a appelée à l’Evangile en R.D.C. et en Afrique centrale »[3]. D’autres se sont certes converties avant dans le mouvement du Réveil congolais. Mais en matière d’appel public à prêcher, enseigner, exhorter les foules, Maman Ntumba est effectivement une précurseure. Avec une formidable énergie, elle parcourt le Zaïre de Mobutu au service de l’Eglise FEPACO, navire amiral des Églises de Réveil. Elle prêche à Mbanza-Ngungu, Kenge, Kikwit, Mbuji-Mayi, Kananga, Kinsangani… Elle lie, en permanence, réalités surnaturelles et naturelles, foi et miracle, sur la base d’une théologie pratique où seule l’efficacité libératrice du Saint-Esprit, acquise par la foi en Jésus-Christ sauveur, peut contrecarrer les oeuvres du Mal. Elle vit quelques temps dans la maison de l’apôtre Aidini, initiateur du Réveil. Ce dernier est convaincu de l’appel de Maman Ntumba. Il lui déclare : « toi, tu vaux plus que 10.000 hommes »[4]. Mais bientôt, l’envie de compléter sa formation l’emporte, et la voilà à Nairobi, au Kenya, pour une formation biblique (1977-79). De retour, elle fonde l’Eglise de Macampagne (1979) puis se retrouve consacrée pasteure régionale  pour la ville de Kinshasa (1980).

Cette prédicatrice de terrain sillonne villes et villages du Congo, au plus près des souffrances populaires. Mais l’horizon international ne lui fait pas peur. Bien au contraire ! Quand elle crée, à partir de 1982, l’AIFA, Association Internationale pour la Foi en Action, c’est avec l’idée d’élargir le périmètre du Réveil à l’Europe, et notamment la France. L’AIFA, fruit d’une « vision », devient sa marque, son réseau d’influence et d’impact. Elle en est l’inspiratrice, la responsable, et bientôt, l’apôtre. Son titre complet, « Apôtre Nahum Ntumba Shaumba Angélique », inspire respect et considération. Entrepreneuse de « biens de salut » dans un monde d’hommes, Maman Ntumba est une pionnière, qui voit grand.  Elle côtoie plus d’une fois les puissants. Mais elle reste proche, toute sa vie, des laissés pour compte, des oubliés, des humiliés, qui la reconnaissent comme une voix qui les représente.

Son aisance en lingala et en français, son goùt pour le réseau et l’entreprenariat chrétien au service de l’évangélisation en font une ambassadrice précoce, en francophonie, de ce Réveil évangélique, charismatique et prophétique congolais qui se déploie depuis les années 1950 sous l’impulsion d’Aidini. La France allait bientôt découvrir Maman Ntumba (voir article suivant).

[1] Bernard Boutter, in Fer & Malogne-Fer (dir), Femmes et pentecôtisme, Labor et Fides, 2016, p.199.

[2] Si l’on en croit un ouvrage publié par sNapo Kalamba et Mubabinge Bilolo, Héritage du discours théologique négroafricain, ed Afrobooks, 2011, p.38.

[3] Cf. le site internet

[4] Interview de Maman Ntumba par Feza Micka, chaîne B-One TV Congo (Youtube, 26 février 2016).