En quelle santé sont les pasteurs de Côte d’Ivoire ? C’est l’un des thèmes abordés par Holo Jackson Hien dans sa thèse de doctorat. Étudiant sous la direction du professeur Pohor (Université Alassane Ouattara), il nous en dit plus.

1/ Quelques mots de présentation ?

Je m’appelle Hien Holo Jackson, je suis étudiant doctorant en sociologie à l’Université Alassane Ouattara, option religion. Je travaille sous la direction du professeur Ruben Pohor. Lors du colloque des 14 et 15 mai 2024 sur les recompositions des relations État-Religions, j’ai eu l’honneur de présenter une communication, de la part d’une équipe d’enquête qui comprenait également Christine Yao et Bernard Kambou, sur les nouveaux mouvements religieux dans la région de Bouaké. Je suis originaire du Nord de la Côte d’Ivoire, de Bouna, et dans le cadre de mes études, je suis basé à Bouaké depuis 2016. Je suis actuellement en troisième année de doctorat.

2/ Sur quoi porte votre sujet de thèse ?

Mon sujet de thèse porte sur « religion et comportement de loisir », à partir d’une enquête ciblée sur les pasteurs protestants évangéliques de Côte d’Ivoire. Mon panel d’étude s’inscrit dans le cadre de la Fédération Évangélique de Côte d’ivoire (FECI) et de la CNEPECI (Conseil National des Églises Protestantes Évangéliques de Côte d’Ivoire). Ce sont les deux grands réseaux protestants de Côte d’Ivoire. Le second réseau est plus récent, il a été constitué en 2012. On peut dire que la FECI intègre les plus anciennes églises, les Assemblées De Dieu, les Églises CMA, etc., mais n’accueille pas ce qui relève de l’Évangile de la prospérité, ou les nouveaux courants charismatiques. Quant à la CENEPECI, au contraire, elle absorbe tout, y compris l’Évangile de la prospérité. Il y a donc une ligne de clivage. Il n’y a pas de double appartenance. On fait partie soit de l’un, soit de l’autre réseau. Mais quels que soient les réseaux, les problématiques auxquelles je m’intéresse sont transversales.

Les pasteurs, dans bien des contextes, ont un mode de vie caractérisé par le surmenage, sans pratique sportive suffisante, notamment ce qui génère des dysfonctionnements, des problèmes de santé, des problèmes familiaux aussi parfois. C’est ce que j’étudie.

3/ Quelle est la méthodologie que vous suivez pour votre thèse ?

Je travaille d’abord sur la presse, et par contacts, je me tiens au courant des nouvelles concernant les Églises. Ensuite, pour les deux grandes fédérations ivoiriennes, j’ai décidé de faire un entretien qualitatif semi directif avec les responsables nationaux des deux fédés, afin d’obtenir un maximum de renseignements. Quelle est la base doctrinale, quelle est la relation avec les pasteurs ? Ensuite, sur la base des recommandations des responsables nationaux, je procéderai à une série d’interviews qualitatives de pasteurs. J’ai prévu 70 entretiens à Bouaké avec des pasteurs, et 100 entretiens sont envisagés à Abidjan.

4/ Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce sujet de thèse ?

Sur la question du loisir, je dois dire que j’ai été le témoin du décès d’un pasteur, un de mes pasteurs. On s’est vus un vendredi, et le lundi il devait me recevoir pour demander des nouvelles. J’ai été tellement choqué d’apprendre qu’il était mort pendant le week-end. Il avait effectué un voyage le samedi, et dans la nuit de samedi à dimanche, il est décédé. D’après le médecin traitant, l’épuisement a été l’une des causes de la mort. Le pasteur était très fatigué, il ne faisait pas de sport. Il avait une quarantaine d’années seulement et exerçait à l’Église pentecôtiste ADD de Grand-Lahou. Cet événement a été pour moi un déclencheur. Ensuite, je suis arrivé à Bouaké pour mes études. Je rencontre alors un autre pasteur dont le ministère prend le dessus sur la vie personnelle. Souvent seule, sa femme commence à déprimer mais le pasteur ne s’en rend pas compte, il continue la mission. Et la dépression de son épouse devient grave. Actuellement, elle ne sort pas de sa chambre.

En Master de sciences des religions, j’ai travaillé sur la violence conjugale en milieu évangélique. Je me demandais pourquoi, dans l’Église, on a l’impression qu’il n’y a pas de violence. Les prêches sont donnés sur l’amour, la réconciliation, mais on ne prête pas attention aux réalités. Je pensais moi aussi que c’était un milieu où tout allait bien, jusqu’à ce que je constate qu’un couple chrétien, joyeux en apparence et fréquentant l’Eglise, se battait en privé. Il faut s’interroger. Je pense aussi à cette chantre au Nigéria, tuée par son mari et pasteur (1). Quand j’ai fini ma soutenance de master, elle est décédée suite à la violence du mari. Cela m’a choqué. Tout cela m’a encouragé à m’interroger sur la question de l’équilibre physique et émotionnel des pasteurs et de leurs familles. J’effectue actuellement une thèse sur le loisir, le rapport au sport, dans cette perspective. Je n’exclue pas de reprendre le dossier des violences conjugales plus tard.

5/ A ce stade, quelles sont vos pistes principales ?

Beaucoup de pasteurs sont surmenés, ne prennent pas suffisamment de loisirs, ne pratiquent aucune activité sportive, y compris en famille. Il n’y a pas très longtemps, ce n’est autre que le président de la FECI (principal réseau évangélique de Côte d’Ivoire) qui a eu un accident de santé en raison du manque d’exercice. Il est, depuis, soumis à des soins très coûteux, qu’on aurait pu éviter avec de la prévention. Un des guides religieux sur Bouaké me disait que le surmenage et la sédentarité sont une réalité au sein de la communauté. Ils veulent comprendre l’intérêt de l’activité physique en loisir, mais ne savent pas comment s’y prendre.

Pratiquer du sport, ils savent que c’est bien, mais ils sont critiqués dès qu’ils le font. Le loisir est jugé mondain. D’autres disent au contraire que le sport, c’est très important, il faut utiliser cela comme moyen d’évangélisation. Mais les personnes qui tiennent ce discours, dans les Églises, sont en minorité. Ce clivage ne se situe pas entre les dénominations, les Églises, mais il traverse chaque Église, chaque groupe confessionnel. Au sein des Assemblées de Dieu (ADD), par exemple, il y a débat. Dans d’autres Églises aussi. Quelqu’un comme Raoul Wafo proclame qu’il fait 1 heure de sport par jour, que c’est important qu’il accorde une priorité à la bonne santé du corps. Beaucoup d’autres ne font pas d’activité physique, peuvent souffrir d’obésité, deviennent vieux avant l’âge, usés, surmenés. C’est à mon avis la course effrénée à l’argent, plus que la question de la vocation, qui crée cela.

La concurrence est grande entre les Églises. Les pasteurs ont l’impression que le sport risque d’être une perte de temps, alors qu’ils sont en conflit territorial avec des pasteurs concurrents.

« Si je reste chez-moi à faire du sport, l’autre va faire grandir son Église pendant ce temps ! ». Plus l’Église grandit, plus la dîme rentre ! Mais c’est un cercle sans fin, où la santé des pasteurs est souvent compromise. Je me pose la question : pourquoi n’y aurait-il pas de clubs de sports chrétiens, pour encourager les pasteurs et les fidèles à l’activité physique tout en ayant la conscience tranquille ?

(1) Il s’agit de la chantre nigériane Osinachi Nwachukwu, tuée en avril 2022. Elle avait 42 ans.