L’Église Vases d’Honneur, basée à Abidjan, est une des Églises postcoloniales qui recompose aujourd’hui le paysage chrétien d’Afrique de l’Ouest. Créée en 2002, elle a développé une implantation internationale. Son fondateur, le pasteur ivoirien Mohammed Sanogo, a partagé pour Regardsprotestants des éléments de son parcours, de l’islam au christianisme évangélique. Dans ce second volet, il élargit le regard et analyse les évolutions qu’il a constatées sur le terrain ouest-africain.
S’il fallait citer une grande surprise que vous n’avez pas prévue au début de votre ministère, ce serait laquelle ?
Ce qui m’a surpris, c’est l’Église. Au départ, mon appel était vraiment l’évangélisation. Avec Message de Vie, mon objectif était d’amener les gens à Christ, au Seigneur Jésus. Peut-être que je voyais le besoin d’un ancrage dans l’Église locale mais je refusais d’accepter que ce soit aussi ma mission. Je n’étais pas pasteur, au départ, j’étais évangéliste. Et pourtant, à partir du moment où l’Eglise Vases d’Honneur s’est mise en place, à Abidjan puis au-delà, Dieu nous a vraiment beaucoup béni. L’Église a pris une grande place dans mon ministère.
Avec le recul, quel regard portez-vous sur l’évolution de la francophonie évangélique ouest-africaine, et au-delà ?
Il y a une très forte évolution. Il y a 25 ans ou 30 ans, au niveau des Églises protestantes, évangéliques, les grandes dénominations avaient presque tout le projet de l’Occident, elles dominaient le terrain. Les Assemblées de Dieu, l’UEESO (1), la CMA (2), les méthodistes… Ces Églises étaient venus avec les Européens, elles étaient le fruit direct du travail des missionnaires venus de l’extérieur, notamment des Français. A partir, je dirais, des années 1990, des pasteurs comme Kakou Séverin et Mamadou Karambiri, ont été des précurseurs. Ils ont commencé à développer des œuvres. Avant eux, il ne faut pas oublier que des œuvres étaient nées aussi, par des Africains, mais on les voyait comme des sectes. Depuis trente ans, cela a changé. Des pasteurs comme Karambiri vont mettre en place des ministères qui sont très influents aujourd’hui, qui sont reconnus, et qui sont des modèles pour la francophonie. Là, je ne parle pas de la République Démocratique du Congo (RDC), qui a une histoire un peu différente. Aujourd’hui, l’Église comme corps de Christ est en pleine expansion, avec beaucoup de ministères, beaucoup d’Églises ivoiriennes et ouest-africaines créées par des Africains. Il n’y en a jamais eu autant. Ces Églises se développent partout dans la francophonie : Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, Burkina Faso, et elles rayonnent aujourd’hui vers la France et au-delà.
Les Églises en Côte d’Ivoire se développent, mais on entend qu’elles sont très divisées. Quel regard portez-vous sur le paysage chrétien ivoirien ?
Pour ma part, je ne dirais pas que les Églises en Côte d’Ivoire sont divisées, non ce n’est pas vrai. J’ai vu des Églises qui se « tirent dessus », qui sont en conflit, mais en Côte d’Ivoire, c’est vraiment très rare. Il y du respect entre les Églises, entre les responsables. On dit rarement du mal des autres pasteurs. Il y a beaucoup de variété, beaucoup de réseaux, mais tout cela ne veut pas dire qu’on est forcément divisé, encore moins en conflit. Il existe aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, plusieurs fédérations. La FECI est la plus importante. C’est la Fédération Évangélique de Côte d’Ivoire (3). Elle rassemble le plus grand nombre d’Églises. Mais il existe d’autres réseaux, plus récents, comme par exemple la CEPMECI (Conférence des Églises Protestantes et Missions Évangéliques de Côte d’Ivoire). Personnellement, à vue d’œil, les évangéliques dans toute leur diversité sont aujourd’hui plus nombreux que les catholiques. Dans un quartier type d’Abidjan, vous aurez une ou deux églises catholiques, et cinquante églises évangéliques. Et dans le reste du pays, dans toute la Côte d’Ivoire, il y a une abondance de nouvelles églises évangéliques. Et tout ce monde-là cohabite dans le respect. Lorsque je visite une Église CMA ou une Église UEESO, on me donne une place de pasteur. Quand il y a de grands événements, des évangélistes de différents horizons se mettent facilement ensemble ; lorsqu’il y a des prières pour la nation, les chrétiens sont rassemblés. Quand il faut prier, on est tous là. Et on fait parfois des choses aussi avec les musulmans, on a l’habitude du respect mutuel.
Quel est votre point de vue sur le panafricanisme ? Sous le président Gbagbo, le panafricanisme était politique ; au niveau religieux, les évangéliques étaient plutôt nationalistes. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La méthodologie des évangéliques ivoiriens est biblique. On tire tous les choses de la Bible, et chacun opère à partir de ce que Dieu lui a dit. L’évangélisation est la priorité. Les Européens ou les Américains font de même. Avec des Billy Graham, Osborn, Bonnke, des programmes ambitieux et complets étaient mis en place. Aujourd’hui en Afrique les ministères ont adopté une vision plus large. Vous savez, beaucoup de chefs traditionnels deviennent chrétien. On va les chercher, les rencontrer, des personnes influentes que nous honorons, que nous respectons, à qui nous présentons l’évangile. Des préfets, des maires…. L’évangile est appelé à toucher toutes les couches de la société. Présenter l’Évangile comme une religion n’était pas le message de Jésus. Jésus priait dans les synagogues ! Il n’a pas créé d’Église ! Paul allait à l’aéropage ! Ce qui compte avant tout c’est Jésus. Nous ne venons pas vers les musulmans pour les convertir à la religion chrétienne. Nous les invitons à découvrir qui est vraiment Jésus. Notre approche est respectueuse, nous cherchons tous à mieux connaître Dieu, et les imams sont très contents d’échanger. Quant au panafricanisme et son évolution, que dire ? D’abord, nous ne faisons pas de politique (4). Ensuite, notre vision est de toucher le monde. Pas seulement la Côte d’Ivoire, pas seulement l’Afrique. Nous ne sommes pas panafricains au sens politique du terme, nous voyons plus large. Ce qui est sûr, c’est que depuis les années 2000, avec l’intervention occidentale en Libye, puis d’autres interventions européennes (et françaises) depuis, notamment ici en Côte d’Ivoire, les Africains l’ont mal pris. Les temps ont changé, on est dans une phase plus mature où l’on fait davantage entendre sa voix, pour les Africains mais aussi pour le reste du monde.
Vos missions en Afrique (Togo, Liberia, RCA) ont un caractère holistique. Cela tranche avec certaines missions du passé, plus axées sur la conversion seule. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
L’Évangile transforme dans tous les domaines. C’est spirituel d’abord, mais cela touche aussi la vie concrète. Comme Steve Mensah (pasteur au Ghana) et d‘autres, nous pensons que la compassion sociale fait partie intégrante du partage de l’Évangile, et nous la mettons en œuvre. Dans nos campagnes d’évangélisation dans les pays voisins, des médecins nous accompagnent, des distributions de nourriture ont lieu, des séances de formation sont organisées. Nous cherchons aussi à encourager tout le monde à exceller. Nous avons commencé à mettre en place des départements, que nous appelons des « smalas », par secteurs d’activité, pour que les chrétiens puissent s’encourager dans leurs métiers respectifs. Concrètement, cela peut déboucher sur une formation puis une mise en place d’une coopérative agricole, par exemple, afin d’être plus coordonnés et plus productifs. On prend des modèles, on s’appuie sur les personnes, qui dans nos Églises se sont déjà réalisées, et qui vont donner des conseils, des astuces. Pour que les valeurs du Royaume de Dieu que Jésus a enseignées soient manifestées.
- L’UEESO est l’Union des Églises Évangéliques Service et Œuvres de Côte d’Ivoire. Elle est issue de la Mission Biblique en Côte d’Ivoire, créée en 1927 par une Église baptiste parisienne, l’Église du Tabernacle. Elle regroupe plus d’un millier de lieux de culte en Côte d’Ivoire.
- La CMA, ou Christian Missionary Alliance, a mis en place l’Église CMA de Côte d’Ivoire depuis 1930. Elle est particulièrement implantée en pays Baoulé.
- La FECI (Fédération Évangélique de Côte d’Ivoire) a été créée en novembre 1960, et rassemble la majorité des Eglises protestantes évangéliques du pays. Son portail internet est https://cotefe.org
- A noter, par rapport au débat pentecôtisme classique / néopentecôtisme. Selon Camilla Strandsbjerg qui travaille sur le Bénin voisin, les « Églises dites charismatiques ou néo-pentecôtistes se distinguent des Églises pentecôtistes historiques sur plusieurs aspects. D’abord, elles encouragent un engagement politique prononcé, contrairement aux Églises pentecôtistes historiques ». Cf. Camilla Strandsbjerg, « Les nouveaux réseaux évangéliques et l’État : le cas du Bénin », in Fourchard, Mary et Otayek (dir), Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, p.223-242