Partie d’une première christianisation à 100% catholique, Haïti s’est largement tournée vers les Églises évangéliques, pentecôtistes et prophétiques, qui rassembleraient un bon tiers de la population aujourd’hui.

Peuplée aujourd’hui d’un peu moins de onze millions d’habitants, la République d’Haïti reste méconnue. Première République indépendante de population majoritairement noire (1804), elle a obtenu sa liberté au prix d’un conflit militaire terrible avec les troupes napoléoniennes. Seul pays francophone indépendant des Caraïbes, Haïti véhicule trois réputations persistantes : un catholicisme omniprésent (longtemps lié au pouvoir politique), un culte Vaudou très vivace, et une crise politique endémique. A cela s’ajoute l’héritage du terrible séisme du 12 janvier 2010 qui a laissé le pays exsangue.

Un gros tiers de la population marquée par le protestantisme

C’est dans ce contexte pour le moins contrasté que s’est affirmé, depuis plus d’un demi-siècle, un nouveau protestantisme haïtien, largement construit à partir de conversions. Ce protestantisme créole vient de faire l’objet d’un colloque pionnier à la Bibliothèque Nationale de Port-au-Prince[1]. C’est aujourd’hui un géant qui s’ignore. Longtemps discret, il bombe désormais le torse, pour le meilleur ou pour le pire. Que représente-t-il ? Il est essentiellement exprimé par les courants évangéliques, pentecôtistes, charismatiques, prophétiques. Il s’agit d’un protestantisme de conversion, décentralisé, marqué par la tradition des réveils et de l’action prosélyte. Il se focalise sur les communautés locales regroupées autour d’un pasteur ou prophète, l’orthopraxie biblique (les bonnes pratiques) et l’efficacité surnaturelle et miraculeuse du Saint-Esprit, troisième personne de la trinité chrétienne. Entre mobilisations collectives, inculturation[2] et dérives sectaires, il a connu, depuis un demi-siècle, une progression très spectaculaire en Haïti.

Comment le quantifier ? Le périmètre d’influence total de ce protestantisme (incluant les 3% d’Anglicans) peut être estimé à 40% de la population, en comptant les doubles appartenances. Dans une définition plus resserrée (nucléus des pratiquants et des membres), autour de 22% de la population haïtienne serait aujourd’hui protestante, dont plus de 90% de sensibilité évangélique. Dans la seule synthèse publiée jusqu’à présent sur le protestantisme haïtien, Fritz Pontus donne les chiffres suivants : 16,2% de la population haïtienne aurait été touchée par le protestantisme en 1982. Dix ans plus tard (1996), la population de Port-au-Prince et des alentours se déclarait désormais à 39% protestante, contre 49,6% de catholiques. Quant à l’Atlas d’Operation World, dans sa 7e édition, il estime les « protestants » à 15,37% en Haïti aux abords de 2010, montant auquel on doit ajouter les Anglicans, ainsi que des indépendants et « non-affiliés »… Bien malin serait celui qui peut donner une statistique complètement fiable. On ne dispose pas d’enquête quantitative ou de recensement exhaustif récent.

Logique ternaire catholicisme-vaudou-évangélisme

Mais la tendance est là. Schématiquement, entre un quart et un gros tiers de la population haïtienne est aujourd’hui directement marqué par le protestantisme. Or, la christianisation originelle d’Haïti a été à 100% catholique. Jusqu’aux années 1960, l’identité religieuse haïtienne était exclusivement marquée par le couple Catholicisme-Vaudou. Cette bipolarité est terminée. L’identité religieuse haïtienne est travaillée désormais par une logique ternaire catholicisme-vaudou-évangélisme. C’est à l’essor spectaculaire du protestantisme, principalement sous forme évangélique et pentecôtiste (incluant Églises de Réveil), qu’on doit cette nouvelle donne. Cette croissance rapide, échelonnée sur soixante ans, constitue le changement le plus important qui ait affecté l’histoire religieuse et culturelle d’Haïti depuis l’indépendance. Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les vecteurs de l’essor protestant haïtien ?

Sans surprise, on peut invoquer comme facteurs externes d’explication des éléments discernés aussi dans la croissance évangélique en Afrique de l’Ouest ou en Amérique latine durant la même période : l’aspiration à de nouvelles formes de solidarité locale, la recherche d’Églises providences dans un contexte de défaillance du Politique, l’affirmation du choix individuel et de l’initiative, et une prise de distance face à des modèles chrétiens hérités de la colonisation. Ces faisceaux de causalité externes ont alimenté trois matrices de croissance qui ont redessiné le paysage confessionnel de la République d’Haïti.

A suivre…

[1] Colloque « Le protestantisme en Haïti et dans sa diaspora », organisé par l’Université d’Etat de Haïti les 16 et 17 juin 2016.

[2] Lire Fritz Fontus, Les Églises protestantes en Haïti. Communication et inculturation, Préface de Jean-Claude Margot. Paris, L’Harmattan, coll. « Religion et sciences humaines », 2001.